Le matin même au petit déjeuner, Dakota avait reçu une lettre de Weston qui l'avait mise dans tous ses états. L'avis de son grand frère était essentiel pour la jeune fille, cependant, elle avait pris une décision qu'il n'approuvait pas en toute connaissance de cause.

Chère Dakota,

Papa m'a dit que tu avais finalement choisi la filière Pratique et Ouverture. Il m'a dit de ne pas être trop dur avec toi mais je n'arrive pas à comprendre. Je croyais pourtant avoir réussi à te convaincre pendant les vacances. Pourquoi avoir choisi cette filière fourre-tout alors que tu aurais pu avoir de bien meilleur débouchés en choisissant la filière Auror comme je te l'ai conseillé. D'accord, tu as beaucoup de pratique dans cette filière et ça te sera vraiment utile mais franchement, perdre autant de temps avec l'étude des moldus ça me dépasse. Je sais qu'ils te passionnent mais est-ce que tu crois vraiment au fond de toi qu'ils ont un intérêt quelconque ? En voyant comment ils ont réagi la dernière fois qu'ils ont découvert notre existence, je ne le pense vraiment pas. Tu es très douée et tu as énormément de potentiel, ne le gâche pas pour des bêtises, comme satisfaire ta curiosité mal placée par exemple.

Rien ne sert plus d'en parler maintenant que ton choix est fixé et que l'année a déjà commencé. Je te conseille quand même de prendre l'option Potions, même si tu n'aimes pas ça, ça peut être très utile. Je te souhaite malgré tout une bonne année. Profite bien de ces années à Poudlard, ça passe vite, crois-en mon expérience. De mon côté, mon année à l'AESM a bien débuté, les cours sont très intéressants et je me sens à ma place. Je t'en dirai plus bientôt. Pense à m'écrire de temps en temps cette année.

N'oublie pas que je t'aime,
Bien à toi,
Weston

En arrivant à la volière, elle était bien décidée à lui envoyer une réponse bien sentie. Après tout il s'agissait se son propre avenir, en quoi cela le concernait-il ? Elle avait pris sa petite mallette de correspondance, remplie de parchemins, de lettres, d'encre, de plumes et de quoi cacheter l'enveloppe. Elle voulait répondre rapidement et donner directement son courrier à Swifty, la chouette de Sullivan, dont il se servait rarement. Mais après avoir relu la lettre de Weston, lorsqu'elle voulu se mettre à écrire, rien ne vint, son esprit était vide tout d'un coup. Des larmes roulèrent le long de ses joues et vinrent mouiller son parchemin neuf. Elle avait déçu Weston, et ça, elle ne pouvait pas le supporter. Elle rangea tout son matériel avec des gestes brusques, entre tristesse et colère, et descendit les marches de la volière d'un pas lourd, ne sachant pas quoi lui répondre ou même si elle trouverait le courage de le faire.

Sa récente conversation avec Marilya, qu'on aurait pu qualifier de banale, l'avait ébranlée. Elle s'était bien rendue compte au fil des années, en côtoyant d'autres élèves, qu'elle connaissait peu sa mère. Elle s'était faîte à cette idée. Freya était ainsi, elle ne la changerait pas. Elle avait peu de temps à lui consacrer, ne parlait pas d'elle, et semblait porter un masque en permanence. Un masque si beau, joyeux et quasiment magnétique, qu'on pouvait à peine lui reprocher d'afficher.

Mais entendre Marilya lui parler de la relation qu'elle avait avec sa mère avait été comme un déclencheur. Ça pouvait réellement être ainsi entre une mère et sa fille ? Elle en avait plus que marre de se taire, de faire comme si tout allait bien, et de se convaincre elle-même que sa mère l'aimait.

Ce matin-là, en salle commune, elle avait pris sa plus belle plume et s'était jurée de rester assise jusqu'à ce qu'elle ait réussi à retranscrire ses sentiments en mots et à les coucher sur le papier. Oui, elle s'était fait violence, parce que ce n'était pas quelque chose qu'on faisait chez elle, parler de ses émotions, surtout négatives. Elle avait l'impression d'être faible, de quémander de l'attention. Mais elle se rendit compte que cette démarche nécessitait au contraire une grande force et un grand courage. Freya allait entendre ce qu'elle avait à lui dire, qu'elle le veuille ou non.

Elle ratura et déchira de nombreux brouillons avant de parvenir à une version finale, après plusieurs heures d'une lutte acharnée avec elle-même.

Maman,

Ça fait des années que je veux te dire ce que j'ai sur le cœur mais je n'ai jamais trouvé le courage. Tu n'es pas quelqu'un d'accessible, c'est le moins qu'on puisse dire. Tout là-haut sur ton piédestal, il est très difficile de t'atteindre. Et je ne voulais surtout pas te décevoir. Encore aujourd'hui, j’aimerais tellement te rendre fière et arriver à ta hauteur un jour. Peut-être me trouveras-tu digne d'intérêt alors.

Je me suis rendue compte suite à une conversation toute bête que je ne te connaissais pas, même si au fond de moi, je le savais déjà. Je ne sais pratiquement rien de toi. Tu ne m'as jamais vraiment parlé de ton travail ou de tes centres d'intérêts. Tu sais, j'ai même appris pendant ma première année que tu avais très bien joué au Quidditch, en tombant sur une coupe de la salle des Trophées. Tu as été la meilleure joueuse de Quidditch de l'année 2025-2026 mais tu ne l'as jamais mentionné. Tu crois que c'est normal ? Est-ce que tu pourrais au moins essayer d'imaginer comment j'ai pu me sentir ? Je sais que tu n'aimes pas parler de toi, mais ne pourrais-tu pas faire un petit effort, pour nous ?

Pendant cette conversation, une amie m'a raconté qu'elle cuisinait très souvent avec sa mère. Toutes les deux, on se voit peu et on ne partage pas grand chose. J'aurais vraiment voulu qu'il en soit autrement et qu'on puisse avoir un vrai lien. Tu m'as transmis certaines choses c'est vrai, pendant nos fêtes traditionnelles et nos soirées débats, je ne veux pas te l'enlever. Mais ça ne me suffit pas, ça ne me suffit plus.

Tu dis que tu nous aimes, mais ça sonne creux. Comment pourrais-tu m'aimer ? Toi non plus tu ne sais pas qui je suis. Ce que j'aimerais plus que tout, c'est te connaître vraiment. Je veux savoir qui tu es au fond, et pas seulement en apparence. Je veux que tu nous donnes plus qu'à tous les autres, nous tes enfants, ne sommes-nous pas plus importants que le reste du monde ?

Bien à toi,
Dakota

Dakota plia la lettre, la glissa dans une enveloppe et la cacheta avec le sceau de Gryffondor. Puis elle se rendit à la volière pour la confier à Sylvester, le hibou de Sullivan. Elle lui caressa la tête avant d'accrocher le précieux message à sa patte, espérant que ses états d'âme seraient bien accueillis et que sa mère daigne au moins lui répondre, ce dont elle doutait franchement. Freya était une experte dans l'art d'éluder.

Dakota dégustait son muesli tranquillement à la table de Gryffondor, lorsqu’une lettre tomba devant elle. Elle reconnut immédiatement l’écriture de Milo, son précepteur. Elle avala la bouchée qu'elle venait d'enfourner et décacheta l'enveloppe immédiatement.

Chère Dakota,

J’espère que tu vas bien et que tu travailles dur. J’ai entendu dire que tu étais toujours une excellente élève, du moins dans les matières qui t’intéressent. Je ne te l’ai pas souvent dit, mais je suis très fier d’avoir été ton précepteur. Je suis sûr que tu deviendras une sorcière d’exception, tout comme tes parents.

Freya m’a parlé de la lettre que tu lui avais envoyée. J’espère que ça ne te dérange pas qu’elle m’ait confié certaines choses, et que je ne risque pas tes foudres en t’en parlant. Ce que je voulais surtout te dire, c’est que je sais qu’elle t’aime énormément, même si elle ne le montre pas beaucoup. Je ne sais pas si elle te répondra, elle avait l’air un peu perdue quand elle m’en a parlé. Je crois que tu le sais, mais c’est très rare de la voir dans cet état, un peu vulnérable. Ta lettre l’a vraiment touchée, plus que tu ne pourrais le croire.

Mais je voulais aussi te dire de ne pas être trop dure avec elle. Bien sûr elle a ses défauts, mais je ne connais pas de parent parfait. Bien sûr elle renvoie l’image d’une femme inébranlable, mais elle a aussi ses fragilités, même si elle fait tout pour que personne ne les remarque.

Tes demandes sont légitimes, et tu as bien fait de les formuler. Je sais que ce n’est pas ton fort, mais soit patiente. Les réponses que tu cherches viendront bien assez tôt. Concentre-toi sur ta vie à Poudlard. Tu es une jeune fille incroyable et je sais que tu peux y arriver, avec ou sans le soutien de ta mère.

Kasen va bien. Je prends grand soin de lui, surtout maintenant qu’il est tout seul à la maison. Vous lui manquez tous beaucoup mais il se réfugie dans ses dessins. J’ai commencé à lui enseigner la sculpture sur bois. Il a vraiment un grand potentiel artistique.

J’espère avoir bientôt de tes nouvelles,
Bien à toi,
Milo

Dakota n'arrivait pas à en croire ses yeux. À mesure que ses yeux parcouraient le parchemin, une sourde colère commença à gronder en elle. Je crois que tu le sais, mais c’est très rare de la voir dans cet état, un peu vulnérable. Mais pour qui se prenait-il celui-là ? Pour son père ? Ç'aurait été à lui d'écrire tout ces mots. Est-ce que Freya en avait parlé à Milo mais pas à Jayden ? C'était peut-être son meilleur ami, mais ça ne justifiait pas qu'elle lui confie des détails si personnels, que Dakota avait mis plusieurs années à pouvoir extérioriser.

Ses joues avaient viré au rouge. Elle se leva d'un bond sans prendre le temps de finir son petit-déjeuner et se dirigea à grandes enjambées vers le parc, bousculant au passage quelques élèves sans y prêter attention. Enfin seule, elle lança des sortilèges d'expulsion sur tous les cailloux et toutes les branches qui passaient dans son champ de vision.