Dominic sortit de sa tente à dix heures sonnantes, une serviette de poche déjà plaquée contre le front. Merlin, qu'il faisait chaud. Il était habitué au climat sec du Soudan, mais aux Philippines, c'était une autre histoire. La chaleur humide rendait insupportable le moindre mouvement, le moindre clignement de paupière. Et pour porter ses meilleurs atours, mieux valait ne pas y penser. Un seul pas sous le soleil suffisait à les tremper de sueur. C'était peut-être ce dernier point que le sorcier avait le plus de mal à supporter, en fin de compte. Heureusement, son turban gardait son crâne au frais. C'était toujours ça de pris.

Tant occupé qu'il était à se plaindre et à ruminer mentalement, Dominic ne fit même pas un sursaut quand son vieil ami, Emin Dadashov, s'approcha de lui.

« Je vois que tu as eu mon mot. »

« Bonjour à toi aussi, Emin », répondit Dominic avec un demi-sourire, cachant le soleil d'un revers de main. « Oui, j'ai eu ton mot. En même temps, il n'y a que toi pour cacher un ticket pour la Coupe du Monde dans une grotte de Brighton. »

« Je sais que tu n'aimes pas les surprises, alors j'ai fait au mieux pour te familiariser en douceur avec cette nouvelle. », ricana le sorcier azerbaïdjanais. « On se promène ? J'irais bien manger un bout. »

« Tu aurais pu m'y familiariser encore mieux en me rendant visite quand je suis arrivé il y a trois jours. »

« J'ai été occupé. » Dominic leva un sourcil, peu convaincu. « Allez, viens, ne fais pas ta mauvaise tête. Je te paie la glace si tu veux. »

« Va au diable », rétorqua Dominic en bousculant son ami. Ce dernier partit dans un rire dont lui seul avait le secret, une sorte d'aboiement rauque qui partait en dents de scie. Un rire atroce, mais qui avait bel et bien manqué à Dominic depuis son départ du Soudan. Il pouffa et se mit en route aux côtés de l'homme tatoué.

Dominic avait beau se plaindre de la chaleur et l'absence de comité d'accueil à son arrivée, il reste que l'ambiance de cette Coupe du Monde lui plaisait énormément. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas assisté à une manifestation sportive de cette ampleur, et toutes les activités proposées donnaient presque le tournis. L'effervescence des spectateurs, supporters aguerris comme simples curieux, était contagieuse. Aussi le sourire de Dominic ne disparut-il pas quand Emin lui proposa de faire un crochet par le stand de jeux, malgré la faim qui commençait à lui tenailler le ventre. Il se contenta de hausser les épaules et de suivre son ami entre les différents étals.

Les mains dans les poches et le buste légèrement penché en avant, Dominic était en train d'observer des gemmes apparemment utilisées comme pions dans une lointaine contrée d'Asie quand il remarqua du mouvement sur sa droite. Il tourna la tête et remarqua un jeune garçon qui ne devait pas avoir plus de seize ans, lui-même penché sur un jeu en particulier². Un simple coup d'œil suffit à Dominic pour reconnaître le jeu de la hyène, jeu légendaire des musulmans du Soudan. Son sourire s'agrandit. Le trentenaire, qui était habituellement peu bavard, surtout avec des inconnus, eut envie d'engager la conversation sur ce jeu qu'il avait connu depuis son enfance. Peut-être était-ce dû au bonheur secret d'avoir retrouvé Emin, ou bien encore aux chants et percussions qui s'entendaient au loin… Toujours est-il que Dominic avait le cœur plus léger qu'à l'accoutumée.

« Ce jeu… Il vous intéresse ? Vous savez comment y jouer ? »

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¹ Je nous ai positionnés un jour où il n'y avait pas de match pour une plus grande marge de manœuvre, mais n'hésite pas à me dire si tu préfères changer.
² J'ai présupposé qu'Erwan était déjà penché sur le jeu. Dis-moi si ça ne te convient pas.
605 mots sans les notes de début et de fin.

Cela faisait maintenant quatre jours qu’Erwan, son oncle, son cousin et sa cousine étaient arrivés aux Philippines. Ils avaient pu assister à un premier match, mais quatre étaient encore au programme. Le Poufsouffle avait encore du mal à réaliser la chance qu’il avait d’être là. Lui qui s’était préparé pendant des semaines, voir des mois, à vivre un été morose à Bristol à devoir supporter son père, il était désormais sur un petit nuage de bonheur qu’aucun sortilège d’allégresse n’aurait pu produire. La fête s’était d’autant plus installée dans leur tente que la France avait remporté son deuxième match de poules, créant dans sa famille française l’espoir que la sélection puisse se qualifier pour les quarts de finale. Erwan lui n’y croyait pas, jamais l’Afrique du Sud ne battrait le Japon qui défendait son titre... Mais il se garda bien de faire part de ses pronostics pour préserver la bonne ambiance qui régnait sous la tente. Le prochain match auquel ils assisteraient verrait s’affronter l’Islande et l’Inde dans deux jours. En attendant, Erwan et ses cousins découvraient les joies du camping et de sa multitude d’activités.

Le stand préféré d’Erwan était, sans surprises ni conteste, celui de jeux. Quel ne fut pas son bonheur de découvrir dès le premier jour ce lieu qui répondait à toutes ses attentes. Des jeux de vingt-quatre pays différents et plus se côtoyaient dans des coffres, au milieu de ce vaste espace de jeu confortable. Si il avait pu, le garçon aurait posé sa tente au pied du stand... Ses cousins étaient pourtant joueurs, mais même eux avaient commencé à saturer de la frénésie ludique d’Erwan. C’est donc seul qu’il s’y était rendu ce matin là. Il y avait toujours assez de monde pour se greffer à une table et la plupart des supporters présents parlaient au moins un anglais rudimentaire qui suffisait pour échanger sur les règles. Après cela, c’était le jeu qui servait à communiquer. Erwan ne savait même plus combien de nouveau jeux il avait essayé... En trois jours, il en avait plus appris sur les jeux qu’en six ans de parties endiablées dans la salle commune de Poufsouffle. Chaque règles du jeu était ensorcelée de façon à ce que les textes se traduisent dans la langue que parlait son lecteur. Erwan prenait des notes pour chaque jeu et les testait au moins une fois. Aujourd’hui ce serait un jeu qui s’appelait le jeu de la Hyène... Bon, on avait vu meilleur titre, mais l’anglais était assez aguerri pour savoir qu’il ne fallait pas juger un jeu par son titre. Après lecture des règles, Erwan sentait qu’il lui aurait fallu une partie pour bien en comprendre la totalité. Cela se jouait avec des dés à deux faces, ce qu’il n’avait jamais vu ! Alors qu’il cherchait ces fameux dés, une voix grave vint interrompre sa recherche.

L’homme qui s’adressait à lui était grand et portait un turban. Ce qui aurait pu étonner Erwan dans son quotidien, mais rien dans ce camping ne l’étonnait plus, vestimentairement parlant en tout cas. Son anglais par contre trahissait sa nationalité, il était bel et bien anglais comme le bristolien. « Ah euh...bonjour... » dit il d’un ton surpris. « Oh oui, tout m’intéresse ici ! Je viens juste de lire les règles de ce jeu, mais je n’y ai jamais joué. Vous connaissez ? Sinon je peux vous expliquer, ça a pas l’air très compliqué, je voulais justement faire une partie. ». Si il avait parfois fallu attendre un peu pour trouver des joueurs jusqu’à aujourd’hui, les dieux des jeux semblait cette fois-ci ne pas vouloir faire attendre Erwan. Qui plus est cette fois-ci, il pourrait expliquer les règles dans un anglais qui ne nécessitait pas de savoir manier la langue des signes !

Le jeune homme lui répondit tout de go, avec une légère inflexion de la voix qui fit lever un sourcil à Dominic. Cette inflexion ressemblait à s'y méprendre à l'accent presque imperceptible des natifs de Bristol, ville où il avait vécue pendant sept ans avec Florence. Se pourrait-il que... ? Dominic coupa net le fil de pensées qui commençait à se dévider. L'heure n'était pas aux considérations du passé, ni au ressassement de souvenirs douloureux. Il eut un léger sourire en coin en constatant l'enthousiasme de son interlocuteur.

« Je connais, oui... J'ai vécu au Soudan pendant cinq ans. C'est un jeu soudanais que vous avez là. » Il joignit le geste à la parole en désignant la boîte, puis laissa s'écouler le silence... Jusqu'à ce qu'il semble se réveiller d'un doux rêve qui avait voilé ses yeux de dunes de sable et de marchés tintinnabulants, et qui lui avait fait oublié les règles de politesse fondamentales auxquelles il était pourtant attaché. « Pardonnez-moi pour cette intrusion sans préavis... Je suis Dominic, Dominic Khan. Agent de protection magique. Si vous souhaitez faire une partie, je suis votre homme, il y a bien longtemps que je n'y ai pas joué. »

Dominic s'approcha du jeune homme, et après un « Vous permettez ? », prit délicatement le feuillet des règles comme pour se familiariser à nouveau avec le jeu. Tout en parcourant du regard les règles, il laissait échapper quelques mots marmonnées entre ses lèvres entrouvertes « Nombre de points... Laver son linge... Tabas... » Il replia ensuite la feuille avec un sourire : « Bon, je n'ai pas tout perdu, du moins je crois. Vous venez ? »

Le trentenaire baissa la tête et souleva d'une main le lourd tissu de la tente pour se retrouver sous le soleil écrasant de l'été philippin. La zone de jeu libre n'était qu'à quelques pas, mais il préféra attendre son partenaire du jour avant de s'y rendre.

Jackpot ! Non seulement cet homme voulait bien jouer, mais il connaissait déjà les règles pour avoir habité le pays d’où provenait le jeu. Il n’y a rien de mieux pour se lancer dans un jeu que quelqu’un qui sait déjà jouer ! Bien sûr on peut toujours apprendre la base avec des novices, mais on n’a pas accès aux stratégies, aux meilleurs coups, aux techniques pour gagner. Évidemment, jouer contre un joueur aguerri signifiait bien souvent de perdre, mais Erwan se fichait bien de perdre ou de gagner tant qu’il s’amusait et qu’il pouvait apprendre sur les mécaniques de jeux. « Enchanté monsieur Dominic. Moi c’est Erwan, Erwan Martin. Il avait ajouté son nom de famille par mimétisme, pour coller aux manières irréprochables de son interlocuteur et si il ne savait pas ce que pouvait bien faire un agent de protection magique, il n’en dit rien. Oui je sais j’ai un nom bien français… mais je suis anglais comme vous. Je suis à Poudlard pour le moment. Je serais très heureux de faire une partie avec vous. Rien ne vaut quelqu’un qui sait déjà joué pour découvrir un jeu ! ». Cependant, le dénommé Dominic s’empara de la règle du jeu pour la lire. Erwan pensa que finalement il ne savait peut-être pas si bien joué que ça… Il marmonnait des mots qui rappelait les éléments de règles que venait de lire le jeune Martin. La vitesse à laquelle il les lu rassura cependant le Poufsouffle, quelqu’un qui ne connaissait pas les règles n’aurait pas pu les assimiler aussi vite.

Il suivît gaiement son nouveau camarade de jeu qui lui ouvrait le chemin jusqu’à l’espace de jeu. Erwan s’installa à une table ombragée, il n’aimait vraiment pas le soleil philippin et ne possédait pas de turban protecteur comme Dominic. Il entreprit d’installer le jeu, d’abord le plateau en spirale, il plaça deux pions sur le village, puis il mit de côté les tabas, le pion hyène et les trois dés. L’excitation inhérente à un nouveau jeu qui commence avait gagné le garçon ! Un sourire grand comme une queue de dragon trahissait son enthousiasme. La règle voulait que le plus jeune commence, alors après s’être assuré que son adversaire était prêt, Erwan lança les trois dés. Une face colorée et deux faces vierges, cela faisait… quatre cases. Il avança son pion et récupéra les dés pour les transmettre à Dominic. La partie était lancée ! Il n’y avait rien de plus réjouissant pour le jeune homme. À cet instant, même le Quidditch n’existait plus, peu lui importait de savoir quelle équipe affrontait une autre. Même la faim ne réveillerai son estomac de Poufsouffle qu’une fois la partie terminée !

Dominic eut un sourire quand le jeune homme se présenta à son tour. « "Monsieur Dominic", c'est mignon », pensa-t-il en observant son interlocuteur. « Plaisir partagé, Monsieur Erwan. » Après s'être installés à une table à l'ombre – Dominic en ressentit un grand soulagement, même s'il ne l'exprima pas, il n'en pensait pas moins –, son partenaire entreprit immédiatement d'installer le jeu. D'humeur bavarde, Dominic entreprit de poursuivre la conversation pendant qu'il se saisissait des dés à son tour : « Si puis je permettre, en quelle année êtes-vous à Poudlard ? J'y ai fait mes études aussi, comme vous vous en doutez. À Gryffondor. Mes années là-bas font partie des plus belles de ma vie. » Le trentenaire hocha la tête comme pour marquer ses propos.

Sur ces paroles, Dominic lança les dés à son tour , ce qui donnait une face vierge et deux faces colorées. Il ne pouvait pas avancer sur le plateau, mais il pouvait prendre un « taba », ce qu'il fit. « Vous prenez déjà de l'avance sur moi, à voir si vous arriverez à accumuler assez de "tabas" pour la deuxième partie du jeu, quand nous arriverons au puits. » Un fin sourire fendait les lèvres de Dominic alors qu'il gardait les yeux fixés sur le plateau, l'air concentré. « Mais je ne doute pas de vos capacités, on dirait que vous avez déjà pris le coup de main. L'histoire de ce jeu est presque aussi intéressante que le jeu en lui-même... »