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06 avr. 2024, 22:29
L'Ours et le Faon  solo   Europe 
Aux yeux du Faon, rien n’était plus important que ses certitudes.
Et d’un coup de patte, l’Ours les sema au gré du vent. Puisse le Loup s’en repaître goulûment.


•••


Avril 2049, début des vacances de Printemps

Sa main pâle posée sur celle tendue de Damiano, Alice descendit les marches du carrosse de Beauxbâtons. Elle pivota sur ses pieds et remercia son promis d’une révérence un tantinet trop théâtrale pour être sincère. Damiano la contempla avec amusement, et la suivit dans son jeu en inclinant son buste, son bras replié dans son dos. « A presto, amore mio», susurra t-il en se redressant. Alice recula pour venir se poster aux côtés de Léonie, trop occupée à chantonner la mélodie de ses songes pour prêter attention au jeu de ses deux amis.
Lorsque le carrosse s’envola enfin, emportant Damiano et son insupportable sourire avec lui, Alice sentit ses épaules s’affaisser. « Enfin, des vacances bien méritées», soupira t-elle avec soulagement. Cette sixième année ne se vivait pas sans pénibilité, loin de là. Dés la rentrée, Alice subirait examen sur examen, tous portant sur les programmes de chaque matière vu depuis la première année. Quand bien même Alice était parvenu à rattraper son retard au fil des années, l’Irlandaise craignait que cela ne suffise pas. Aussi profitait-elle de chaque seconde de son temps libre pour travailler sur ce qu’elle ne maîtrisait pas sur le bout des ongles.
Durant ces deux semaines, Alice travaillerait d’arrache-pied. Elle réussirait ses examens, et haut la main. Ainsi, son visage rejoindrait les portraits de la salle d’Ulula. La médiocrité n’était pas envisageable.

« Ah, mais regardez ce que nous avons là », lança Léonie dans un sourire. « Le plus charnel de tous les Sangblanc… »
Alice leva les yeux sur l’autre côté du chemin. Les feuilles soulevées à l’arrivée de Thomas retombèrent de lui. Il replaça son chapeau sur ses boucles blanches, partiellement dérangées par son transplanage. Alice haussa un sourcil. N’était-ce pas Père qui devait récupérer sa fille ?
Thomas avala les quelques mètres les séparant des deux jeunes filles, un sourire ourlant ses lèvres pâles. « Léonie… que ne donnerais-je pas pour perdre quelques années… ou pour te voir en gagner quelques unes. »

Si Léonie était amusée par les propos scandaleux de Thomas, Alice s’en trouva courroucée. Ce genre de situation n’était pas rare. Léonie aimait jouer avec le feu, et Thomas jongler avec… et l’un comme l’autre prenait grand plaisir à l’allumer. Et, souventefois, Alice devait les reprendre, rappelant à chacun que ce jeu était d’une vulgarité rustaude.

« Mes respectueuses salutations à Madame et Monsieur de Beauvais » , dit Thomas, avant de se tourner vers Alice pour lui proposer son bras. « En route, petite vipère. »
Alice s’étonnait de la précipitation de Thomas. Quand bien même son regard ne le trahissait pas, Alice devinait une préoccupation. Aussitôt, la jeune femme pensait à son père, qui aurait dû être là pour la récupérer à l’arrêt.
Léonie fit la moue, croisant ses bras sous sa poitrine pour accessoiriser ses paroles. « — Me déposséder aussi vite de ta soeur, en voilà des manières !
Je me ferai pardonner, sois en assurée. Disons… dans deux mois.
Laisse moi deviner… après le 12 Juin ?
Peut-être même le 12 Juin, si tu es née en début de journée. »

Léonie lâcha un rire amusé, là où Alice fronça des sourcils, poignardant son frère d’un regard réprobateur. La jolie française pivota sur elle même et se jeta au cou d’Alice pour l’enlacer. La jeune Sangblanc répondit à son étreinte avec plus de retenu, gênée de devoir subir un tel assaut devant Thomas. Léonie, sans gêne aucune, décocha une série de baisers sonores sur la mâchoire d’Alice, avant de lui caresser du bout de son nez. Le sourire de Thomas s’agrandissait, l’oeil amusé. Il était coutumier de ce genre de scène. Léonie était démonstrative. Peut-être trop.
Après un temps qui sembla lui durer une éternité, Léonie libéra enfin Alice. Ce genre d’étreinte pourrait bien finir par lui manquer.

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN

07 avr. 2024, 10:30
L'Ours et le Faon  solo   Europe 
Le bras de Thomas enserra les hanches d’Alice lorsqu’il vit ses jambes se dérober sous son poids. Par Circée… parviendrait-elle un jour à ne pas défaillir à chaque transplanage ?
Au moins étaient-ils rentré au domaine. Que ces pierres blanches lui avaient manqués… Beauxbâtons était un parangon de beauté, et Alice s’y sentait comme chez elle. Mais ici, au sein des terres Sangblanc, Alice fusionnait avec l’environnement. Sous ses pieds battait le coeur même de sa noble famille. Alice ferma les yeux un instant pour inspirer l’odeur délicate des lilas qui avaient enfin fleuris. Comme heureux de revoir la dernière née, la brise glissa sur ses joues en une caresse délicate.
Son inconfort disparu à la faveur de la félicité, Alice se redressa. Thomas garda son bras autour de sa soeur quelques secondes, avant de la libérer. « Comment s’est déroulé ton trimestre ? » demanda t-il en sortant sa baguette. Il pointa la lourde de valise d’Alice et la souleva du sol. « Très bien », répondit Alice sans cérémonie, son intérêt placé ailleurs. « Dis moi : pourquoi Père n’est-il pas venu me chercher ? S’est-il passé quelque chose ? »
Thomas haussa une épaule en prenant la tête de la marche. « On peut dire cela, oui. Nous venons de perdre l’Italie. » Alice rata un pas. Perdre l’Italie ? Elle accéléra la marche pour rattraper Thomas. « — Que veux-tu dire ?
L’Ours a encore fait des siennes. »

Alice se tut. Le ton de Thomas était dépourvu de toute taquinerie. Il était sérieux. La situation devait être grave.
Frère et soeur pénètrent dans le manoir. De choeur, ils s’inclinèrent pour saluer l’hippogriffe noir perché dans son tableau comme il était coutume de le faire. Lorsqu’il leur rendit en une révérence, ils se redressèrent et prirent la direction du petit salon. La valise trouvait sa place aux pieds des escaliers de marbre, et attendrait ainsi jusqu’à ce que les elfes de maison la récupèrent.

A mesure qu’ils avançaient dans le couloir, Alice percevait les voix de sa famille. Elle reconnaissait sans peine celle de son père, teinté d’un agacement qui ne lui était pas commun. Plus ils s’approchaient du petit salon, et plus la situation lui semblait critique.
Enfin, Thomas pénétra dans le petit salon, Alice dans ses pas.

« Ce serait une erreur », dit Élise. Debout près de la cheminée éteinte, elle tenait entre ses doigts un parchemin qu’elle ne quittait pas des yeux. « Le message est clair. Santini est aussi fautif que Yuri, si ce n’est plus. C’est à la Truite qu’il vous faut rendre visite en priorité. Yuri se délectera de votre intervention. Ne lui donnons pas cette satisfaction. »
Père était assis dans un fauteuil, ses traits durcis. Même de profil, Alice parvenait à lire sa colère, muselée par sa bienséance. Ses lèvres articulèrent une réponse cinglante qui frappa Alice de plein fouet : « Yuri me crache au visage depuis trop longtemps maintenant. Je ne le laisserai pas m’humilier une énième fois. »

Grand-Père, rencogné dans son fauteuil, observait l’échange sans dire un mot. Quand bien même il ne parlait pas, Alice lisait l’inquiétude. Elle creusait un peu plus chaque ride.
Le regard de Grand-Père dériva sur ses petits enfants. Il s’efforça de sourire à Alice.

« Te voilà », dit-il d’une voix marquée par la fatigue. Alice étira un maigre sourire, avant de s’avancer. Elle vint déposer un baiser sur le crâne dégarni de son grand-père. « Bonjour, Grand-Père. » Il semblait affaibli. Alice s’écarta d’un pas pour l’observer, soucieuse. Comme si il parvenait à lire les états d’âme de sa petite fille, il se redressa dans un soucis de paraître. Maigre tentative qui n’eut que pour effet d’accentuer l’inquiétude d’Alice. Le mouvement des épaules du patriarche semblaient douloureux, Alice était persuadée qu’elle aurait pu entendre ses os se froisser les uns contre les autres si son ouïe avait été plus aiguisée.

« Mon tendre trésor, je suis confus de n’avoir pu venir te chercher à l’arrêt. »

Alice coula un regard à son père. Ses traits s’étaient adoucis, naturellement. Elle lui sourit, avant de le rejoindre. Elle ploya genou à ses côtés, vint chercher son poing serré pour y déposer un baiser. Les doigts de Père se délièrent pour épouser la joue de sa fille. « Je ne vous en tiens pas rigueur, Père. Thomas m’a informé de la situation. Enfin, sans entrer dans les détails. »

Père bascula sa tête pour regarder Thomas, avant de revenir à Alice. « Rien de grave, ne t’en fais pas.
Perdre l’Italie, cela semble fort éloigné de ce que j’appellerai “sans gravité”. »

La respiration de Père s’alourdi. Il baissa les yeux sur la chevalière ornant son index gauche. Machinalement, il s’était mis à la faire tourner.
Alice se redressa et vint s’asseoir sur l’accoudoir. Thomas passa à côté d’elle pour prendre place dans un fauteuil. Il s’étira de tout son long.

« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais résumer la situation, lança t-il en observant l’assemblée. Alice aura bientôt 17 ans, et est aussi concernée par la situation que nous tous ici, si ce n’est plus.
Je suis d’accord, acquiesça Élise. Un nouvel avis ne sera pas de trop. »

Thomas se redressa un peu, ses avant bras se posant sur ses genoux. Il planta son regard sur sa jeune soeur.

« Santini, chef de la branche secondaire italienne, n’a pas d’héritier. Deux épouses différentes, et pourtant aucun enfant. Ni frère, ni soeur pour lui succéder, la branche italienne est voué à s’éteindre à sa mort. Comme tu le sais, c’est toi qui aurait dû reprendre le flambeau en t’unissant à Damiano. Comment va t-il, d’ailleurs ?
Il est toujours aussi détestable, donc je présume qu’il se porte comme un charme. Mais je t’en prie, poursuis.
Il y a trois jours, nous avons reçu une lettre de Santini, nous annonçant qu’un successeur venait de lui être donné. Une pupille, en réalité. Nikolai Sangblanc, le dernier né de l’Ours. »

Alice haussa les sourcils. Tout était plus clair, à présent. La colère de Père et l’inquiétude de Grand-Père étaient justifiées.

« Et cela sans notre consentement » supposa Alice. « Ne pouvons-nous pas simplement donner notre désaccord ?
Nous l’aurions fait si Yuri ne nous avait pas coupé l’herbe sous le pied en confiant son fils à Santini trois semaines avant la réception de la lettre, répondit Élise. Retirer l’enfant à présent serait une erreur qui nous mettrait en porte à faux.
Santini et son épouse se sont inévitablement attachés à Nikolai, précisa Dorian à sa fille. Leur retirer l’enfant qu’ils espéraient tant avoir nous porterait préjudice : l’acte de Yuri règle le problème de la succession. Aussi, si nous intervenions à présent, la branche italienne verrait en notre geste une volonté de domination absolue. »

Alice opina du chef pour marquer sa compréhension. Elle déglutit, ses sourcils se fronçant légèrement. L’Ours avait fort bien joué, c’était tout à son honneur.
Son regard tomba sur ses genoux. Sa mâchoire se serrait à mesure que les tenants et aboutissants de l’acte de Yuri se dressait en une liste mentale. Pour sûr, donner une pupille de son sang à Santini marquait une volonté d’étendre son héritage. Alice doutait que ce geste soit dénué d’intérêt. Avec le temps, la jeune femme avait compris que dans leur milieu, aucun acte de charité n’était fait sans arrière pensée.

« Alice, si vous étiez Cheffe de la branche principale, que feriez-vous dans une telle situation ? » demanda tante Elise. Alice releva son visage étonné vers sa tante. Etait-elle sérieuse ? Elise la regardait sans sourire aucun, sans effort pour embellir son masque de marbre. Alice sentait son coeur battre au bout de ses doigts, réalisant que chacun attendait son avis. Non pas comme on attend l’homélie d’un guide, mais plutôt comme pour prendre connaissance de l’évolution d’une enfant devenue femme.
Alice se redressa un peu, son menton se redressant. Elle cherchait ses mots, cherchait une réponse. Elle n’en avait aucune toute formulé. Jamais elle n’avait été confronté à telle réflexion.
Tous le savait ici. Ce que l’on voulait voir, c’était capacité à réfléchir vite et bien.

« J’irais rendre visite à l’Ours et à la Truite pour les mettre en garde sur leurs agissements pernicieux », dit Alice d’une voix mal assurée. Elle se dressa un peu plus. « Je leur parlerais de l’importance capitale de la réflexion sur les initiatives de ce genre qui peuvent porter préjudice à notre glorieuse famille, que ce soit en son sein ou à l’extérieur. »

Tante Elise garda le silence, son regard dardé dans celui d’Alice. Elle poursuivit : « — Et si ils vous répondaient que leurs agissements ont, tout au contraire, renforcé la famille qui craignait de perdre une branche de son arbre ?
Je leur dirais que ce genre de préoccupation reposent sur les épaules de la branche principale, et que la solution avait été trouvée.
La solution étant…?
… Le renouvellement du sang par la… création d’une nouvelle branche à la mort de l’ancienne.
Pourquoi cette solution prévalait sur celle de Yuri ?
Parce qu’elle avait été mûrement réfléchie.
Vous estimez donc que celle de l’Ours ne l’était pas ? »

Alice ne trouva aucune réponse à fournir. Mais Élise poursuivit : « Vous pensez que Yuri n’avait pas cette idée en tête bien avant que nous ne formulions la nôtre ? Qu’il n’a pas volontairement fait un onzième enfant à son épouse pour l’offrir à Santini ? »

Père mit un terme aux mots de sa sœur d’un geste de la main. Élise se tut. Alice avait échoué.

« Je vais rendre visite à Yuri », annonça t-il. Voyant qu’Elise s’apprêtait à reprendre la parole, il poursuivit, abrupt : « C’est à moi de régler cela. Pas à toi, ni à Thomas. »

Tante Élise ne pipa mot, bien incapable de manifester son mécontentement. Aussi se tourna t-elle vers Thomas.
L’héritier pivota sur son séant pour s’adresser à Père. « Vous donneriez trop d’importance à Yuri en agissant de la sorte, et vous le savez aussi bien que nous. Laissez moi y aller. Je suis votre successeur. A ses yeux, je suis donc plus important qu’Élise… sauf votre respect, ma tante. »

La belle dame ne fit aucun geste, ne prononça aucun mot. Elle reporta toute son attention à Père.
Assise à ses côtés, Alice percevait ses tourments comme si ils étaient si. Son pouce s’agitait contre sa chevalier. Avec douceur, Alice vint récupérer sa grande main pour la prendre entre les siennes. Père lui accorda un sourire, touché par son désir d’apaisement.

« Thomas et Élise ont raison », dit enfin Grand-Père. « Tous ici présents ont connaissance de ta mésentente sempiternelle avec l’Ours… te recevoir sur son sol ne ferait que renforcer le dédain qu’il éprouve déjà à ton égard.
Je n’ai que faire de son dédain.
Dorian…
Je sais mettre de côté notre différend lorsque la situation l’exige. Je ne suis pas sot.
Tu es aveuglé.
Non pas. Il est hors de question que j’envoie mon fils à la rencontre de Yuri. Il ne le reconnaît pas comme héritier légitime, pas plus qu’il ne me voit comme le digne chef de notre famille. Je ne lui donnerai pas la satisfaction d’humilier ma chair. »

Alice resserra ses doigts sur ceux de Père. Quand bien même il se disait capable de laisser ses ires de côté, elle les sentait pulser au travers de la peau de Père. Alice n’aimait pas cela. Père était douceur. Père était maîtrise. Il n’était pas cette colère froide, cette irascibilité dont il prenait les traits aujourd’hui.
Que n’aurait-elle pas donné pour lui arracher et les porter pour lui.

« Et si Alice m’accompagnait ? »

Tous les regards se tournèrent vers Thomas. Père semblait horrifié, Grand-Père surpris. Tante Élise, fidèle à elle même, n’exprima rien.
Alice, quant à elle, ne comprenait pas ce que son nom venait faire sur la table.
Confortablement rencogné dans son fauteuil, il accueillait sans peine les différentes émotions que ses mots venaient de susciter.

« Yuri ne m’aime pas. Il ne vous aime pas, Père. Il n’a aucune considération particulière pour Élise, et il est évident que nous ne demanderons pas à Grand-Père de faire le déplacement jusqu’en Sibérie. En revanche, Alice… elle lui a fait forte impression. N’est-ce pas, petite vipère ? »

Alice déglutit. « Je… n’irais pas jusqu’à cela. Je ne l’ai que peu vu, et nos échanges étaient brefs. »

D’un geste de la main, Thomas envoya paître les hésitations de sa cadette. « Il t’a comparé à Mère, et les Dieux savent à quel point il la tient en haute estime. Père ne me contredira pas à ce sujet. »

L’intéressé fronça les sourcils en un aveu silencieux.
C’était vrai, Yuri avait bien dit quelque chose comme cela lors de la Veillée d’Alice. Entre deux pas de danse, il lui avait dit qu’Alice avait un feu en elle, le même qui avait jadis enflammé la jeune Renesmée. La comparaison ne fut pas au goût d’Alice qui s’était bien gardé de lui signaler qu’elle ne voulait rien à voir en commun avec sa maudite génitrice. Un compliment de l’Ours était bien trop rare.

« Cela pourrait marcher », admit Tante Élise. « Alice est à l’aube de ses dix-sept ans. Elle pourrait accompagner Thomas, et détourner le mépris de Yuri. Il n’aurait d’intérêt que pour elle, et le message serait transmis. »

Comme si jusqu’à présent il ne s’agissait que d’une facétie dont seul Thomas avait le secret, Père semblait prendre conscience du sérieux de la situation. Il ouvrit de grands yeux. « Avez-vous perdu l’esprit ? Envoyer Alice en Sibérie avec comme hôte Yuri ? » Son regard passait de Thomas à tante Elise, ses sourcils se fronçant comme on arme un canon. Alice serrait un peu plus fort le poing de son père. Elle se pencha un peu sur lui, cherchant à capter son regard. « Père… », tenta Alice d’une voix mal assurée. « Si ma présence peut changer le cours des choses, j’accompagnerai Thomas avec plaisir. »

Comme abattu par les mots qu’il venait d’entendre, Père se recula dans son fauteuil, son regard ne quittant plus sa fille. C’était le moment. « Yuri pourrait prendre votre venue comme un aveu de votre préoccupation sincère, et donc de sa victoire personnelle sur vous. Père, vous êtes un parangon de droiture et d’intégrité. Vous êtes Dorian Sangblanc. Vous êtes puissant, de par vos actions et vos paroles. Ne le laissez pas remettre tout ceci en question par son habile jeu de manipulation. Vous valez bien plus que ce qu’il prétend. »

Le silence qui s’en suivit flanqua un frisson d’inconfort à Alice. Ses joues s’empourprèrent, alors qu’elle baissait les yeux sur ses genoux, incapable de soutenir plus longtemps le regard contrarié de Père. La réprimande ne tarderait pas à venir.

« Et que serais-je si j’expédiais deux de mes trois enfants dans les griffes de Yuri ? » demanda t-il enfin, son ton calme mais vibrant de colère contenue. « Quel homme serais-je si je consentais à une telle folie ? Je préfère l’humiliation au deuil, Alice. Cette conversation est terminée. »

Dorian se leva, arrachant son poignet à la prise délicate de sa fille. Il lui déposa un baiser sur le front, et quitta le petit salon sans un regard pour son sang.
Alice avait été trop présomptueuse.
Bien trop présomptueuse.

Sixième année RP - 741B47
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07 avr. 2024, 16:45
L'Ours et le Faon  solo   Europe 
Les bras de Nath enserraient les reins d’Alice avec une délicatesse mêlée d’empressement. Nichée dans son cou, la sorcière s’enivrait de l’odeur de son ami, un grand sourire illuminant son visage. « T’es chiante à étudier loin », marmonna le Moldu dans les boucles blanches. « T’finis par me manquer ».
Alice se recula pour observer Nath, son sourire devenant taquin. « Oh, ainsi donc je te manque. » Nath roula des yeux, la commisure de ses lèvres s’étirant pour laisser naître un sourire qu’il peinait à retenir. « Ouais… p’t’être un peu. » Alice sentit son coeur faire un bond dans sa poitrine. Elle baissa les yeux pour cacher son émotion tout en se libérant de l’étreinte de Nath.
Comme il était bon de le revoir. Alice ne lui dirait pas, mais lui aussi lui avait manqué. Leur escapade dans la forêt, leur conversation sur la Roche des Fées, leur rire partagé… autant de petites choses pour arracher Alice à sa vie droite et strict.

« T’pars en Grande-Bretagne ces vacances ? » demanda Nath en s’asseyant sur la pierre. Il ramena son sac sur ses jambes et l’ouvrit pour en sortir un sachet de bonbons. Des mûres en gomme.
Alice prit place à ses côtés. Elle ramena ses jambes contre ses cuisses et piocha un bonbon. « Il est fort probable que je reste en France.
Ah ben super ! On pourra s’faire un truc. Genre la fête foraine. Ou t’as aussi un festival genre la semaine pro. Festival de… merde, c’était quoi d’jà… »
L’entrain de Nath amusait Alice, qui se permit de le gratifier d’un léger coup d’épaule. « Nous verrons cela en temps et en heure. Nos rendez-vous tous les deux me conviennent très bien, et cela même si aucun programme n’est décidé à l’avance. » Alice glissa son bonbon entre ses lèvres et le croqua sous le regard mi amusé, mi touché de Nath. « Ouais… moi aussi. Mais la fête foraine, ça serait cool. » Alice, n’ayant que les descriptions de Nath pour se faire un avis, se contenta de sourire, et d’hausser une épaule.
Des bonbons, de la musique, et des auto-tamponeuses -un simulacre de véhicules moldus concentré sous un préau, d’après les explications de Nath-, voilà ce qui faisait cette fameuse fête foraine dont Nath lui parlait dés qu’il en avait l’occasion. Le Moldu aimerait qu’Alice l’y accompagne, ne serait-ce qu’une fois. Mais une fois pourrait être de trop pour la jeune sorcière, elle en avait toute conscience. Et, de toutes manières, Père ne lui laisserait pas poser ne serait-ce qu’un orteil dans le village moldu.

•••


Dans le reflet de son miroir, Alice pivotait de droite à gauche pour observer la soie de sa chemise de nuit glisser sur ses hanches. Elle les caressa du bout de ses doigts, et force était de constater qu’il n’y avait plus aucune monticule désagréable. Ses entraînements au Duel portaient leur fruit. Son corps redevenait ce qu’il devait être : parfait. Alice allait pouvoir reprendre sa consommation quotidienne de friandise.

Trois légers coups à sa porte sortirent Alice de sa contemplation. Elle attrapa son peignoir de satin blanc déposé sur son lit et l’enfila aussitôt. « Entrez »
La poignée s’abaissa, et Thomas passa sa tête dans l’encadrement de la porte. « — Déjà en tenue de coucher ? s’étonna t-il.
Si tu veux tout savoir, je sors du bain. Entre, ne reste pas planté là. Tu fais courant d’air. »
Thomas se faufila alors dans la chambre. Il referma la porte de son dos, avant de s’approcher. Comme à son habitude, son regard vadrouillait sur la chambre de sa soeur. Il lâcha un rire en voyant le paquet de bonbons que lui avait laissé Nath. Il s’en saisi, et le leva sous ses yeux. « Non contente de dévorer les sucreries sorcières… voilà que tu t’en prends aux moldues. Où as-tu trouvé cela ? »
Alice avala la distance entre eux et récupéra abruptement son paquet de bonbons qu’elle glissa dans son dos. « Mes camarades ne sont pas tous Sang-Pur… et les friandises des Sans-Pouvoir sont merveilleuses.
Tu as toujours eu palais défaillant… enfin. Viens.
Où donc ?
Dans la chambre de Père. Il nous faut le convaincre de nous laisser partir pour la Russie.
Père a déjà exprimé son refus.
J’ai un nouvel argument irréfutable.
Et quel est-il ? »

Thomas sourit, amusé par le sourcil arqué de sa jeune soeur, piquée par la curiosité. « Le Sanglier, petite vipère. » Alice déposa son paquet de bonbons sur sa commode. Alice ne pipa mot pendant de longues secondes. Thomas avait raison. Malgré son implantation au Danemark, Søren et sa branche entretenait une excellente relation avec les Sangblanc de France. C’était un homme intègre et intelligent. Il savait où se placer pour garantir la bonne entente entre les branches… tout au contraire de l’Ours.
Alice se tourna à nouveau vers son frère. « Allons y ».

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14 avr. 2024, 17:28
L'Ours et le Faon  solo   Europe 
« — Allez, frappe.
Non : toi, tu frappes.
C’est toi, sa préférée. C’est toi qui frappe.
Et c’est toi le premier héritier de Père. C’est à toi de frapper.
D’accord ! Je frappe, mais tu parles.
Tu plaisantes ? C’est ton idée. Il est parfaitement hors de question que je sois celle qui souffre de l’agacement de Père. »

Thomas claqua sa langue contre ses dents. Conscient qu’il ne gagnerait pas ce combat, il cogna contre la porte. Alice se fit plus droite, prête à affronter la tempête qu’ils s’apprêtaient à déclencher.
Mais lorsque la porte s’ouvrit, pas l’ombre d’un éclair dans les yeux clairs de Dorian Sangblanc. Seulement quelques nuages pour témoigner de sa préoccupation.
Père passa son regard d’Alice à Thomas. « Est-ce que tout va bien ? », demanda t-il. Alice ne su que répondre, aussi leva t-elle la tête pour regarder Thomas. Lui même semblait chercher une réponse dans les yeux de sa soeur. Voilà qui n’allait pas aider leurs affaires.
Père lâcha un soupir. Il s’écarta de la porte et invita ses enfants à rentrer d’un geste las. « Je vous en prie, venez donc me présenter votre brillante suggestion… » Père était un fin limier.

Après que Père se soit installé sur son fauteuil, Thomas et Alice s’assirent à leur tour sur le canapé. Père les observait sans un mot, attendant que l’un ou l’autre prenne la parole.
Alice envoya un léger coup de talon dans le mollet de son frère, son geste appuyé d’un regard qui ne laissait aucune interprétation possible : c’était à lui de parler, pas à elle.
Las, Thomas leva le visage vers Père. « Je continue à penser qu’envoyer Alice avec moi en Russie est la meilleure idée possible. » Les sourcils de Père se froncèrent. Thomas leva les mains pour l’apaiser. « Mais ! pas sans la présence d’un allié de poids face à Yuri : Søren. Il le connaît mieux que nous. Moins que le Corbeau, c’est une évidence, mais plus d’une fois il a montré sa dévotion envers la branche principale. »

Thomas appuya ses avant-bras sur ses genoux, son regard braqué dans celui de Père. « L’idée, c’est de montrer à Yuri qu’il est le vilain mouton du troupeau, et non le nouveau berger. La branche danoise est liée à la sienne. Il sera forcé de remettre en question la légitimité de ses actions. » Thomas désigna Alice d’un bref coup de tête vers elle. « Alice ne servira que de distraction. Je serai le messager. Søren, notre bouclier. »

Père n’avait eu de cesse de poignarder son fils de son regard froid. Et Thomas n’avait pas baissé les yeux. Pas une seule fois. Sans doute savait-il que pour convaincre Père, il ne fallait pas montrer le moindre soupçon d’hésitation. Alice s’estimait chanceuse d’avoir Thomas de son côté.
Thomas se rencogna dans son assise. Il écarta les bras pour les reposer avec nonchalance sur le repose tête. Alice se redressa un peu pour éviter de laisser ses boucles entre les doigts joueurs de son frère. « Nous irions tout d’abord voir Søren », expliqua Alice, ramenant ses boucles blanches sur son épaule. « Nous définirons le plan d’attaque sur place en utilisant ce qu’il sait sur l’Ours. Et, ensuite, nous nous rendrons ensemble au domaine de Yuri.
Non. »

Le refus catégorique de Père souffla Alice. Ses yeux s’écarquillèrent. Et voilà qu’il dardait son regard sur elle. Alice baissa la tête pour ne pas avoir à l’affronter. Elle déglutit, ses poings se refermant sur ses cuisses.
Rien ne la faisait plus souffrir que les désapprobations de son père tant aimé. Depuis sa plus tendre enfance, Alice n’aspirait qu’à rendre Père fier. Chaque regard improbatif, chaque “non”, chaque froncement de sourcil… la jeune fille les subissait comme des coups de fouet.
Thomas n’était pas Alice.

« Pourriez-vous argumenter ? » demanda l’héritier. Il se redressa, ses doigts effleurant les boucles d’Alice en un geste tendre mais assuré, comme si il lui intimait de reprendre contenance.
Un soupir las s’échappa sèchement d’entre les lèvres de Père. « Bien sûr. Accepter que deux de mes trois enfants partent pour la lointaine Sibérie avec pour seul bouclier un bureaucrate handicapé, avec pour objectif de manifester ma désapprobation auprès d’un sorcier acariâtre dont la seule occupation est de me défier m’apparaît comme de l’inconscience. Et le mot est faible. » Thomas ouvrit la bouche pour objecter, mais Père le fit taire d’un geste de la main. Il reprit. « Je connais Yuri. Je sais qu’il ne ratera aucune occasion de vous faire du mal pour m’atteindre. Je ne lui laisserai aucune opportunité. Aucune. »
Alice avala sa salive avec difficulté. Aux yeux de la jeune fille, Dorian Sangblanc n’avait aucun défaut. Il était intelligent, fort, doté d’un humour subtile et d’une grande beauté.
Mais lorsqu’il s’agissait de ses enfants, Père ne voyait plus que leur sécurité et manifestait alors une opiniâtreté inébranlable. Face à cela, Alice ne pouvait rien faire. Ni Alice, ni personne.
Tout bien réfléchi, Alice se souvenait avoir déjà eu l’occasion de voir Père flancher devant Mère, car elle même incarnait à la perfection la ténacité. Et lorsque l’amour s’en mêle, les tendres cœurs faiblissent.

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17 avr. 2024, 14:21
L'Ours et le Faon  solo   Europe 
Son archet dansait sur les cordes de son violon en mouvements langoureux. Alice sentait les vibrations jusque dans ses os. La mélodie improvisée se perdait dans le gouffre qui s’étendait à quelques mètres d’elle. Ses yeux fermés, Alice se laissait aller à ses émotions, elles imprégnaient ses notes. C’était une complainte, celle d’une jeune fille qui, trop attachée à son père, ne parvenait pas à lui faire entendre raison. Elle qui, par amour, courbait l’échine de peur de décevoir l’homme qu’elle aimait plus que sa propre existence, quand bien même son coeur lui hurlait de dresser le menton pour affronter les peurs de son père.
Les notes se succédaient avec vitesse. Certaines étaient fausses, et mordaient les tympans sensibles d’Alice. Elle les laissait de côté pour se concentrer sur son envie, son désir de cracher toute sa frustration. De plus en plus rapide. De plus en plus désordonné. Alice serrait les paupières avec force. La complainte se muait en danse frénétique. Il lui fallait affronter Père. Lui dire que ses enfants ne craignaient rien. Qu’ils étaient suffisamment fort, suffisamment malin pour braver n’importe quelle tempête. Ensemble, ils étaient capable d’affronter l’Ours. Et ils le feraient pour l’honneur de leur père. Ils le feraient, car tel était leur devoir d’héritier.

Alice laissa mourir ses notes avec douceur. Les muscles de ses bras avaient été suffisamment éprouvé. Elle abaissa son archet et son violon. Ses yeux s’ouvrirent, ses poumons se déployèrent alors qu’elle s’enivrait du souffle du vent. Il portait les effluves des sapins, l’odeur musqués de la forêt. Il caressait la peau nue de ses épaules, embrassait les morsures laissées par le Soleil. Tante Elise ne manquerait pas de lui asséner des rappels sur la nécessité de couvrir sa peau. Notre teint lunaire est un héritage, dirait-elle. Il vous faut l’honorer, et le protéger. Peu importait.

Dans son dos, Alice entendit Nath applaudir enfin. « Et t’oses m’dire que t’es pas douée en violon ! » lâcha t-il dans un sourire qu’Alice pressentait dans son ton. Elle se tourna pour lui sourire à son tour. Elle haussa une épaule en le rejoignant. « Je m’améliore, c’est un fait… mais je n’atteins pas encore ton niveau à la guitare. »
Alice ploya les genoux pour déposer son violon dans son étui de cuir. Nath l’observait faire, son regard semblant décortiquer le mouvement de ses doigts. « Eh, viens, demain on va à la fête foraine. » Alice ne daigna pas lui accorder un regard. Elle souffla un rire. « As-tu tant besoin d’une compagnie pour t’accompagner ?
J’pourrais y aller avec des potes, mais c’est avec toi qu’j’veux y aller.
Et pourquoi donc ?
Ben j’sais pas… T’as pas envie ? »

Alice aurait aimé accompagner Nath, mentir à ce sujet serait insulter l’intelligence -certes bien dissimulée- de son ami. Père lui refuserait cette escapade, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Et puis, cela voudrait dire qu’Alice devrait lui avouer que depuis des années, Alice avait noué une amitié avec un Moldu. Père était un sorcier ouvert d’esprit, et lui même avait eu pour amie une Moldue. Mais… Alice savait pertinemment que lorsqu’il s’agissait de sa fille, Père manquait de discernement. Il n’hésiterait pas à oublietter Nath.
Et cela, Alice le refusait.

« — Mon père ne sera pas d’accord, dit-elle enfin.
Oh, allez… tu peux au moins lui d’mander. Eh ! A la limite, tu lui dis de venir voir mes darons.
Pourquoi diable ferait-il cela ?
Ben pour être rassuré. Si il rencontre mes parents, et moi, il pourra voir que j’suis pas un psychopathe qui veut t’faire du mal. »

Alice sourit, amusée. « Il faudrait bien plus que cela pour rassurer mon père », avoua Alice. Nath soupira, et détourna le regard. Sa bouche se plissa. Il boudait.
Du bout de ses doigts, Alice vint chercher la main de Nath, jusqu’ici repliée contre sa cuisse. Elle lui ouvrit pour se glisser à l’intérieur, et lui serrer avec délicatesse. « Crois moi… si mon père venait à découvrir notre amitié, il s’empresserait de la détruire.
— J’comprends pas pourquoi. C’est lui qu’a fait d’la taule. Pas moi.
»
Alice serra sa main, ses ongles se plantant dans sa main. Nath se tourna aussitôt vers elle, ses sourcils froncés. « Quoi ! C’est vrai ! Sérieux, Alice ! Tu m’connais, non ? T’as jamais parlé d’moi à ton père ! C’est p’t’être ça l’problème ! T’as honte ou quoi ?
Je n’ai pas honte. Je sais seulement ce qu’il en penserait, et je préfère te protéger des retombées que cela pourrait engendrer.
Ben voyons. Dis surtout qu’t’as honte d’être avec un… pouilleux.
… un pouilleux ?
Un pouilleux, un… putain c’est quoi l’mot… roturier ! Voilà !
Mais, Nath…
Non mais c’est bon, j’ai compris. T’as peur qu’ton père te fasse sauter ton héritage ? »

Alice récupéra sèchement sa main, ses sourcils se fronçant. Son amusement s’était envolé.
Dans ses yeux, Alice vit que Nath regrettait ses mots. Et pourtant, il ne dit rien pour arranger la situation. « C’est abusé, sérieux. Moi j’ai parlé d’toi à mes parents ! Et t’sais quoi ? Ma mère aimerait trop te rencontrer. Mais nan, parce que Madaaaame préfère qu’on s’voit en cachette.
Pour ton propre bien ! Est-ce si difficile à comprendre ?
Putain mais en quoi c’est pour mon bien, en fait ? Tu m’dis, tu m’dis ton daron il veut pas qu’on soit pote ! Ben vas y, dis moi en quoi ça lui pose soucis, en fait ? »

Alice ne pu retenir un râle agacé. Elle jeta ses bras sur le côté. « Parce que nous ne venons pas du même monde ! Je te l’ai dit des centaines de fois ! »
Sa réponse ne fut pas au goût de Nath, qui s’empressa de cracher. « Mais en quoi c’est un soucis, putain ! »
Il fallait se rendre à l’évidence : Nath ne pourrait pas comprendre. Il n’en avait pas envie. Alice s’était bien gardée de lui dire qu’elle était une sorcière, et Nath avait interpréter leur différences comme une opposition de classe sociale. Cela suffisait. Enfin, cela aurait dû suffire pour que Nath comprenne.
Mais il n’en était rien.

Face au silence agacé d’Alice, Nath poursuivit. « J’ai pas envie d’être le gars d’la forêt que tu vois seulement quand ça t’chante. C’facile à comprendre, non ? J’ai envie qu’on fasse d’aut’ choses, toi et moi ! J’veux qu’on sorte en ville, qu’on aille manger un kebab ou… ou je sais pas, moi ! Sérieux, essaye d’me comprendre ! Quand on s’voit, c’est toujours ici. Genre ok, c’est cool, mais… j’ai… j’veux qu’on soit… plus. »

Alice déglutit, son regard se détournant du sien. Son cœur était au bord de ses lèvres.
Non, vraiment, Nath ne comprenait pas. « Il faut se contenter de la chance que nous avons », murmura t-elle sans grande conviction.
Nath observa longuement Alice, ses lèvres légèrement entrouvertes. Alice vit sa mâchoire se serrer, avant qu’il ne crache une injure. Le Moldu récupéra son sac et se leva furieusement. Alice n’esquissa aucun mouvement. Nath la toisa de toute sa hauteur. Il attendait quelque chose. Une réaction, peut-être un mot.
Face à ce nouveau silence, Nath souffla, son expiration tremblante. « Je sais plus comment t’le dire Alice… je… putain… laisse tomber. »

Nath s’éloigna d’un pas rapide. Alice observa son départ sans bouger, sans mot dire. Et lorsque enfin sa silhouette s’effaça, Alice se recroquevilla sur elle même.

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN

29 avr. 2024, 11:02
L'Ours et le Faon  solo   Europe 
Rares étaient les fois où Père jouait du piano.
Dans sa jeunesse, il fut un joueur talentueux, car c’était ce que l’on attendait de lui. Ce fut sa mère, Elisabeth, qui lui appris, comme son père avant elle. Et à son tour, Dorian enseigna cet art à sa jeune fille.
Le temps avait fait son office, et à force de se tenir loin des notes, Père avait perdu de son talent. Néanmoins, Alice reconnaissait sans peine le morceau que Père s’employait à jouer.
La Lettre à Élise, par le grand compositeur Sans-Pouvoir Ludwig van Beethoven.
Sa respiration tremblante, Alice laissait les notes pénétrer en elle. Même si il n’était plus le grand joueur d’autrefois, il n’en demeurait pas moins un pianiste accompli. Une bagatelle était à sa portée.
Du bout de doigts, Alice usait de l’air comme un clavier invisible, suivant les notes de coeur avec Père. Elle fermait les yeux, accueillait la mélodie comme un baume pour son cœur douloureux.

Nath ne voulait pas comprendre, et Alice aurait aimé qu’il soit capable de voir au delà de ses souhaits enfantins. Ô grands dieux, que ne donnerait-elle pas pour qu’il ouvre les yeux sur la précarité de leur relation. Fallait-il qu’elle lui martèle ses peurs à coup de burin ? Qu’elle le mette face à toute sa famille, baguettes brandies, un Amnesia sur le bord des lèvres ?

Avec lenteur, Alice pénétra dans la pièce. Père et son piano se tenait en son centre, encadrés par la harpe de tante Elise, et le violoncelle de Grand-Père. Les derniers rayons de soleil frappaient le dos de Père, projetant son ombre contre la bibliothèque de bois blanc. Ses yeux fermés, il semblait concentré. Alice voyait ses doigts glisser d’une touche à une autre avec une indélicatesse qui n’avait pas sa place sur un piano.
Sur la pointe des pieds, Alice s’approchait.

Oui, rares les fois où Père jouait du piano, car rares étaient les fois où Père ressentait le besoin de s’isoler.

Alice contourna le piano, et vint s’asseoir sur le bord du banc où Père se trouvait. Un sourire glissa sur ses lèvres naguère serrées. Il se décala un peu, sans rompre son jeu, permettant à sa fille de s’asseoir d’une manière plus confortable.
La jeune femme se laissa aller contre l’épaule de son père, en quête d’un peu de repos.
Nath l’avait éprouvé d’une manière qu’Alice s’était juré de ne plus jamais subir. Une parjure, voilà ce qu’elle était. Une félonne pour son propre cœur.

Comme souventefois, sa peine s’était muée en colère. C’était un sentiment bien plus facile a accepté. La rage avait toujours été un chef de file puissant pour Alice. Elle la guidait, l’obligeait à agir, quelque soit la situation.
Et ainsi le Merlin naquit des vestiges de ses larmes.
Et ainsi Mère, jadis bourreau, devint ennemi.
Et ainsi, et avant tout, la petite fille glapissante devint jeune dame estimée.

Père mit fin a sa bagatelle en un mi majeur. Ses doigts coulèrent le long du clavier, pour finir sur ses genoux. Il se tourna à peine et offrit un sourire chaleureux à son enfant. « Ai-je été à la hauteur de tes oreilles sensibles ? » demanda t-il de sa voix de velours.
Alice conserva un moment son attention dans le vide. La musique lui manquait soudain. Bercée par les notes, la jeune fille se sentait comme étreinte par deux bras maternels. Et l’en voilà dépouillée.

Aussi se contenta t-elle de lever son visage vers son père pour lui offrir un sourire témoignant de sa satisfaction. Père lui rendit, sa main venant caresser les boucles blanches soyeuses d’Alice. Cet acte d’amour filial dura de longues secondes, père et fille cherchant calme et sérénité dans la présence de l’autre.
Père laissa glisser ses doigts le long d’une boucle, avant de pivoter vers Alice. « As-tu des nouvelles de Thomas ? » demanda t-il.
Alice secoua la tête, négative. Père poussa un soupir, ses yeux se levant au plafond. Il se perdit un instant dans les moulures dorées. Alice le vit déglutir.
Au petit matin, Thomas avait disparu sans un mot, sans une lettre. Ce genre de départ sauvage était dans ses habitudes. En revanche, lorsqu’il ne prévenait personne, Thomas revenait toujours pour le déjeuner.
Aujourd’hui, ce ne fut pas le cas.
Quand bien même Père ne mettait aucun mot sur ses pensées, Alice les connaissait : il craignait que Thomas soit parti seul pour la Russie, provoqué par les refus incessants de Père. Ses peurs étaient légitimes, mais Alice connaissait suffisamment son frère pour savoir qu’il était loyal à Père, et que jamais il ne commettrait un acte susceptible de mettre en péril la réputation du chef de famille.
Et le simple fait que Père puisse penser cela de Thomas agaçait la jeune fille.

« Thomas a sans nul doute oublié un rendez-vous galant avec une de ses trop nombreuses conquêtes », dit Alice, désireuse d’apaiser Père. « Il sera de retour sous peu.
La confiance que tu as en ton frère me surprendra toujours. »

Alice haussa un sourcil. N’était-ce pas naturel ? N’était-ce pas ce que l’on attendait d’elle ? La confiance d’une soeur à son frère, de surcroît futur chef de famille ?
Naturellement, Alice savait que ce n’était pas tant cette confiance fraternelle qui surprenait Père, mais bien le tournant qu’avait prit leur relation en quelques années.
Naguère méprisé et haït pour les tourments qu’il lui avait fait subir, Thomas avait été pardonné. Son comportement envers sa jeune soeur avait fait montre d’une réelle volonté de rédemption. Thomas était peut-être le même qu’au premier jour… mais il n’en demeurait pas moins un allié précieux, en ce jour.

« Je lui confierai à ma vie », répondit Alice. Père observa son enfant avec une once d’incrédulité. Le regard inébranlable d’Alice plongé dans le sien ne mentait pas : elle pensait ces mots.
Père jeta un regard vers le piano. Du bout des doigts, il y joua quelques notes. « De tels mots doivent être prononcés avec prudence, Alice. Tu es encore jeune, aussi ne peux-tu pas comprendre la force d’une telle confiance. C’est…
… avec la confiance que l’on nous poignarde, coupa Alice sans vergogne. Je connais cet adage, tante Elise l’a déjà utilisé contre moi. Mais elle m’a dit également de ne compter que sur ceux qui partagent mon sang. Votre leçon me met dans l’embarras, Père : je ne sais sur quel pied danser. »

L’ombre d’un sourire glissa sur les lèvres de l’ancien Auror. Ses doigts dansaient sur les notes, improvisant quelques choses qui s’apparentait à du Chopin… était-ce une interprétation de la Valse Pure ?

« Thomas est un bon garçon », répondit Père, toute son attention portée sur le jeu de ses doigts. « Mais il est impétueux, arrogant, et obstiné. Il serait prêt à tout pour obtenir ce qu’il convoite. Or, ce qu'il convoite en ce moment est une récompense qui ne saurait être conquise par la seule impétuosité.
Et, d’après vous, que convoite t-il ?
Sa légitimité. »

Voilà que Père s’improvisait psychomage. Et de bien piètre qualité.
Alice remua la tête, ses yeux se levant au plafond. L’affront ne manqua pas au chef de famille. Il cessa de jouer pour faire face à son enfant. Alice senti ses épaules se redire.
Oublier la défense, et contre attaquer.

« Thomas est légitime par sa naissance », dit Alice en plantant son regard dans celui de son père. « Il n’a rien à prouver à qui que ce soit. Ni à Yuri, ni à vous. Il sera notre prochain chef, et son règne sera marqué par son audace, que vous nommez impétuosité. Par sa confiance, que vous nommez arrogance. Par sa volonté, que vous nommez obstination. Le monde change, Père. Et Thomas l’a bien compris. C’est pour quoi je réitère mes propos, et les martèle : je lui confierai ma vie, car j’ai toute confiance en son jugement. »

Père garda le silence. Aucune émotion ne fit danser ses pupilles. Il semblait dans l’attente.
Alice déglutit, et reprit, son menton se dressant.

« Thomas danse avec les hyènes lorsque vous, vous les affrontez. Hélas, ce sont elles qui dirigent notre monde aujourd’hui. Vous l’avez vu lors de votre procès. Par votre diatribe, par votre désir de rester intègre en toutes circonstances, vous avez mis en danger votre vie et la nôtre. Dés lors, Thomas s’évertue à redorer notre nom en Grande-Bretagne pour que je ne souffre point de votre décision de combattre le Conseil lorsque je reviendrai sur leur territoire. Il n’aspire pas à la légitimité, mais à la protection de notre famille. En cela, je pense… non, je sais qu’il mérite votre reconnaissance… car, voyez vous, je crois que c’est cela qu’il convoite au plus profond de son coeur. »

Alice sentait son coeur battre dans le bout de ses doigts. Elle ne baissait pas les yeux devant Père, consciente que cela marquerait un manque de confiance en ses propos.
Les secondes s’égrainèrent sans qu’aucun Sangblanc ne détourne le regard. Père ne semblait pas agacé par les propos de sa fille, ni par ses affronts. N’importe quel autre Père aurait congédié la jeune fille dans sa chambre… mais pas Dorian Sangblanc.
Pas ce père qui vouait un culte à sa précieuse fille.

Ses grandes mains vinrent épouser la joue d’Alice. Il l’amena à lui pour déposer un baiser sur son front. Alice ferma les yeux, accueillant cette caresse apaisante.
Père murmura contre sa peau. « Thomas ne mesure pas la chance qu’il a de t’avoir pour égide ». Le grand sorcier attira sa fille contre lui pour l’étreindre avec douceur. Ses longs doigts se perdaient dans les boucles blanches de sa fille. Alice restait silencieuse, profitant seulement de la chaleur paternelle qui l’enserrait. Elle s’y blottissait, se laissait porter par cet amour inconditionnel que père et fille éprouvaient l’un pour l’autre.
Là, tout contre son coeur, Alice laissait choir au sol ses doutes et ses colères.

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN