Inscription
Connexion
25 avr. 2017, 11:15
 Angleterre  Le gouffre de l’Insensée  Solo 
- I -

- Arya, Zile, Zakary et Natanaël Bristyle -



17 Décembre 2041 - 15h
Salon - Domaine Bristyle
1ère année - Vacances scolaire de Noël


Zile prit une respiration profonde, gonflant ses poumons. Une explosion d’odeur s’infiltra par ses narines pour atteindre son cerveau, provoquant un afflux d’images qui le détendit immédiatement. Il sentait l'arôme délicieux du vieux parchemin, une teinte boisée en osmose avec une légère once de poussière. Le vernis frais et le cuir tanné dansaient sous son nez, effluves d’un monde sans limites et sans perfection. Timidement, la fraîcheur s’invita dans le ballet, parfum de l’été, douce fragrance du terreau humide : l’image de la magnifique Belle-de-jour, qui trônait à ses côtés, s’imposa à lui ; il se surprit à sourire délicatement. Les odeurs lui parlaient, et derrière ses paupières closes, il les écoutait. Une douce effluve l’appela, et il respira plus légèrement, ouvrant ses narines pour la laisser passer. L’odeur était piquante, le fumet lui semblait épais, mais pas désagréable. Il sentait la chaleur et le piment, le brûlé et le cuivre. Il fronça les sourcils, étonné de ne pas reconnaître ces effluves. Il respirait. Odeur florale, odeur de chaleur et d’iode. C’était hautement différent de l’arôme précédent, moins chimique. Et moins inconnu.

Il ouvrit lentement les yeux, installant un doux sourire sur son visage. Comme il l’avait deviné, une femme se tenait devant lui, derrière le bureau sur lequel reposait des piles de livre. L’odeur ne le trompait jamais. La porte de son bureau était légèrement entrouverte, et les vapeurs provenant du laboratoire de potions égayaient son odorat. Quant à cette odeur chaleureuse d’iode et de fleur, il n’y avait qu’une personne pour sentir ainsi.

- Tu as fini ? demanda-t-il à la femme lui faisant face.
- Oui, lui sourit-elle. Et toi ?
- Pas encore, je dois m’occuper de cette commande, dit-il en désignant son bureau. Que vas-tu faire ? ‘Naël m’a dit qu’il avait du mal avec les sortilèges de contusions, il t’en a parlé ?
- Il me l’a dit, oui. Je vais te laisser le temps de finir et aller l’aider. Il aura moins de temps, dès ce soir, rajouta-t-elle en souriant largement.
- Je sais. A tout à l’heure, ma Chérie.

L’homme baissa les yeux sur son bureau pour lire attentivement le parchemin qui reposait sur le plateau en bois. Il avait reçu cette missive il y a quelques jours. Il s’agissait d’une commande spéciale, pour l’un de ses clients favoris. Il souhaitait acquérir un certain nombre de livre que zile avait, heureusement, réussi à lui rassembler. Il s’agissait de livres rares, sorciers et moldus, traitant de sujets obscurs. Zile ne se préoccupait pas de ce qu’il en ferait, son intérêt ici était les Gallions avec lesquels il le payerait, et ces fameux livre qu’il lui avait promis en échange. “Une perle rare”, avait-il dit. Connaissant ce client depuis de nombreuses années, l’homme brun ne doutait pas qu’il s’agissait là d’un véritable diamant. La lecture en serait passionnante, ses clients ne l’avaient jamais déçus, il les choisissait bien trop sérieusement pour cela.


Quelques heures plus tard, Zile s’étira, étalant son dos sur le dossier de la chaise, élevant ses bras haut sous le plafond obscur. Il baillait en observant paresseusement la pièce. Il adorait être ici. Cet endroit lui était réservé, tout comme le laboratoire de potion était réservé à sa femme. Un sous-sol pour accueillir leurs vieux esprits fatigués, un “repaire mystérieux”, comme s’était amusé à le nommer Narym toute son enfance. L’endroit n’était pas outrageusement rempli. Une bibliothèque plus ou moins fourni habillait les murs. Les livres n’étaient pas parfaitement rangés sur les étagères comme dans la Tour. Ils traînaient à terre, en équilibre précaire les uns sur les autres. Les étagères étaient encombrés d’objets en tout genre, des fioles, des plumes, des parchemins, un rapeltout, des plantes. Un joyeux capharnaüm comme le propriétaire les aimait. Son bureau en ébène massif occupait le centre de la pièce, trônant en roi dans son Antre. Un bureau à l’image du reste de la pièce, encombré par ses affaires. Et près de lui, son morceau d'Évasion, une magnifique Belle-de-jour aux odeurs splendides, conservée sous un sortilège puissant. L’endroit était parfait pour travailler, pour s’évader, ou tout simplement pour lire.
Le quarantenaire se gratta la joue dans un crissement agréable. Rangeant le parchemin dans l’un de ses tiroirs, il se leva et fit apparaître d’un coup de baguette magique un solide carton dans lequel il rangea un à un les livres qu’il avait posé sur le bureau. Bientôt, il s'absenterait pour s’acquérir de sa tâche, mais pour le moment il avait d’autre projet, hautement plus important.

Heureux d’être fin libre, il sifflota joyeusement en sortant de la pièce. Il se trouvait à présent dans un grand couloir lumineux. En face de son bureau, se trouvait la porte menant au Laboratoire. Il parcouru quelques mètres avant d’atteindre une flopée d’escalier qu’il gravis. Un grand salon l’entoura alors. Une pièce immense, avec la cuisine d’un côté, quantité d’assises confortables de l’autre, et une grande table à manger. La pièce principale de la maison, dans laquelle toute la famille se retrouvait. Pour le moment l’endroit était silencieux, dans l’attente religieuse du bruit qui l’envahirait bientôt.

C’est sans surprise que Zile aperçu la tête châtain de sa femme dépassant d’un canapé. Il sourit tendrement en la regardant. Elle ne l’avait pas vu, elle avait les yeux fixés sur les pages du rapport qu’elle lisait attentivement. Arya Bristyle gardait rarement son esprit éloigné de son travail de médicomage. Zile avait appris à accepter cela, tout comme il acceptait ses longues absences, ses journées harassantes et sa fatigue continue. Sa femme se donnait coeur et âme à ses patients, et si sa famille en pâtissait, ils savaient qu’elle était l’une des meilleures médicomages du pays et ils en étaient fiers.
La femme leva alors la tête, se rendant compte de la présence de son mari. Lorsqu’Arya avait décidé de couper sa longue chevelure, arguant qu’elle n’avait pas de temps à consacrer à cela, Zile avait craint le changement occasionné, mais dorénavant, il n’aurait pas voulu la voir autrement. Ses mèches châtains lui tombaient devant les yeux, lui donnant un air rêveur qu’il savait qu’elle ne possédait pas. Ses yeux bruns, qui étaient joliment étirés en amande, lui donnait un air félin dont la seule héritière était leur fille unique. Il adorait se plonger dans ce regard qui respirait l’intelligence, il pouvait se vanter de le connaître par coeur. De petites rides apparurent aux coins de ses yeux lorsqu’elle sourit à son mari, laissant entrevoir une rangée de dents blanches.
Refermant son dossier, elle s’adossa plus confortablement sur le canapé, invitant Zile à venir la rejoindre d’un geste du menton.


- Zile, je n’en peux plus d’attendre, geignit Arya sur un ton enfantin qui ne lui convenait pas, se laissant tomber contre l’épaule de son mari.
- Moi non plus, je te l’avoue, lui confia l’homme. Etait-ce si difficile les fois d’avant ?
- Je n’en ai pas l’impression.
- Tu te rappelles de Narym ? La maison semblait soudainement plus calme, et en même temps Zakary et Natanaël nous demandaient tant d’attention que nous étions sans cesse occupés.
- Oui… Et lorsque se fut le tour de Zak’, j’ai toujours pensé que ‘Naël ne supporterait pas la solitude, mais il s’est épanouie à ce moment, rit Arya.
- C’est vrai, mais il était fou de joie en apprenant la naissance d’Aodren ; il avait enfin un compagnon de jeu, sourit Zile en serrant sa femme contre lui. Il avait oublié que ça allait rapidement être son tour d’aller à Poudlard.

Arya et Zile Bristyle prônaient l’autonomie et la liberté, le partage des émotions et l’ouverture d’esprit. Leurs cinq enfants évoluaient librement dans un environnement riche et agréable, dans une famille unie et aimante. Malgré cela, ils avaient vécus le départ à l’école de leur progéniture avec beaucoup de difficulté, n’acceptant que peu la solitude que laissait le départ de leurs enfants dans la grande maison du Domaine. Ranimer le souvenir de ces départs était cependant agréable. Ils souriaient en se rappelant les frasques de leurs aînés, les exigences de ‘Naël, qui profitait de l’attention de ses parents, désormais seul enfant à la maison. La naissance de leurs cadets, et enfin, le départ de leur unique fille à Poudlard, il y a quatre mois. Il était bon de revivre ces années au gré de leur discussion.

- Maintenant qu’elle va revenir, je me rend compte qu’elle m’a énormément manqué, Arya…, confia l’homme à sa femme. Le magasin semble vide sans elle, et ses réflexions déstabilisantes me manquent. Quand est-ce qu’était la dernière fois où tu as eu une discussion poussée à propos d’un Calmar ? ria t-il.

Arya leva le menton, plongeant son regard dans les pupilles foncés de l’homme. Ses cils épais rendaient son regard mystérieux, c’était la première chose qui l’avait marqué chez cet homme. Cela faisait ressortir la profondeur de ses yeux sur sa peau halée. Ses cheveux noirs, légèrement bouclés, semblaient tenir son visage en coupe. Zile était un homme aussi simple que son physique était mystérieux. Munie d’un odorat exceptionnel, il savait se contenter de peu, trouvant son plaisir dans l’odeur d’un coup de vent automnal, dans l’odeur de sa femme ou de sa maison. Il savait se mouvoir dans l’atmosphère que son nez lui permettait de ressentir jusqu’au plus profond de son être, s’imprégnant de cela autant que de la lecture de ses précieux grimoires. L’homme était d’une nature curieuse, mais cela ne l’empêchait pas de se montrer dur et insensible, faisant de lui le commerçant intrépide qu’il était. Il avait toujours espéré réussir à apprendre à ses enfant l’importance de s’imprégner du monde qui les entourait.
A présent, ses yeux brillaient, mettant au jour la sensibilité dont il était affublé. L’homme pleurait le départ de son unique fille, et Arya ressentait la même chose. Des sentiments qui ne pouvaient devenir banals, pas même après le départ de quatre autres enfants. Mais la femme ne dit rien, elle préférait écouter son mari, car elle savait qu’elle ressentait la même chose et que Zile serait le plus à même d’eux deux d’exprimer cela.

- Je m’inquiète, Arya, continua l’homme, tu sais combien elle a toujours eu du mal à lier des amitiés.
- C’est un lieu de connaissance, il n’y a pas d’endroit où elle pourrait mieux se sentir, le rassura sa femme. Elle nous a dit qu’elle s’intégrait bien au château.
- Tu penses à ce Léon, c’est ça ? demanda le brun, faisant référence aux lettres de sa fille qui disait s’intégrer à merveille dans l’école.
- Oui, elle nous a dit bien s’entendre avec ce Poufsouffle et sa Maison en général. Et elle nous a parlé de ses relations avec quelques élèves des autres Maisons, ne t’en fait pas elle est bien entouré et elle a Aodren !
- Ça me rassure qu’elle soit avec son frère, sourit Zile. Seule, Aelle est perdue et ne se mélange pas.

Le couple avait mûri plus d’inquiétude pour Aelle les premiers mois de son départ qu’il n’en avait eu pour leurs autres enfants. La jeune enfant était la dernière à être présente à la maison, et bien qu’elle soit solitaire et peu exubérante, cela avait été une joie de l’avoir seule avec eux durant une année entière. Ils avaient pu se concentrer un maximum sur leur unique fille. Cette dernière était la plus calme de leurs enfants, et son tempérament réfléchi était une chose très agréable chez une enfant, avait toujours pensé les parents Bristyle. C’est ainsi qu’ils avaient hâte de la retrouver, elle et son frère. Arya voulait discuter avec sa chère fille de ses nouvelles lectures et du choix de ses futurs connaissances, elle voulait l’entendre parler de son éventuelle rencontre avec ce Calmar Géant qu’elle adulait. Elle accepterait même ses incessantes questions sur tout et n’importe quoi. Zile, lui, avait envie de profiter de la présence silencieuse de sa fille, de ses nombreux sourires et de ses yeux pétillants. Il voulait passer du temps avec elle, lui faire découvrir ses nouveaux livre et discuter simplement des choses qu’elle aurait à lui dire, rire de ses blagues et de ses pensées réfléchies. Les parents d’Aelle Bristyle souhaitaient que leur fille rentre, tout simplement pour profiter de sa bonne humeur revigorante. Ils étaient persuadés que malgré son comportement solitaire, elle se sera épanouie à Poudlard.

Le crépitement de la cheminée bouscula le père dans ses pensées. Doucement, il s’écarta de sa femme après avoir posé un baiser sur son front pour aller tisonner les braises. Il aimait entretenir la chaleur bienveillante d’une cheminée, et cela sans magie.


- Ce qui m’inquiète, intervient Zile en observant le feu, c’est son absence de lettres ces dernières semaines. Tu sais, je repense encore à ce qu’Aodren nous a dit dans son hibou de Novembre…

La femme leva soudainement les yeux pour observer son mari. L’angoisse qu’elle ressentait dans la voix de l’homme l’inquiétait plus qu’elle n’osait l’admettre. Qu’est-ce qui avait poussé Aelle à ne pas répondre à certain de leurs hiboux ce dernier mois ?

- A l’approche des vacances, elle voulait profiter de ses amis, imagina la femme. Et quant à ce qu’a dit Ao’, tu sais qu’il est très inquiet quand il s’agit de sa soeur, comme tous ses frères. Aelle n’aime pas être aidé, son frère aura insisté et elle se serait énervée, voilà tout. Evidemment Aodren n’est pas habitué à cela, il a dû s’en faire plus encore, mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir, rassura Arya en souhaitant paraître sûre d’elle, alors même qu’elle doutait de chacun de ses mots.
- Mais Aelle n’a jamais été désagréable envers ses frères ou envers qui que ce soit ! souffla Zile.

Aelle Bristyle pouvait faire la fierté de ses parents. Comme tous ses frères, elle n’était pas parfaite, mais elle avait de nombreuse qualités qui la faisait briller aux yeux de ses parents, qui voyaient exceptionnels chacun de leurs cinq enfants. Leur jeune fille, si curieuse et avide de savoir avait pour particularité d’échapper aux disputes. Si ses frères se confrontaient souvent pour quelque sujet que ce soit, la jeune fille se contentait de retrouver le confort de sa chambre ou de s’éloigner sans un mot. Aelle avait pourtant de quoi se trouver agacée de ses frères, qui ne cessaient de la couver. Mais elle acceptait leur comportement, et n’haussait que rarement la voix. Ainsi, lorsque Zile et Arya avait appris de leur plus jeune fils qu’une “Aelle hors d’elle” l’avait sèchement renvoyé, hurlant “comme un dragon en peine”, créant ainsi la tristesse dans le cœur d’Aodren, ils avaient été plus que surpris.

- Elle grandit, assura Arya, conforté dans l’idée que sa fille n’avait pas un tempérament aussi véhément que ses frères. Nous lui parlerons, et elle nous dira ce qui n’allait pas à ce moment.

La médicomage s’extirpa du canapé pour s’approcher de son mari. L’homme avait fait preuve de beaucoup d'inquiétude, les mois suivant le départ de leur fille. Pour ne pas inquiéter sa famille plus que nécessaire, il s’était retranché dans son commerce, s’occupant de ses livres avec une nouvelle ardeur. Si sa femme ne passait que rarement la journée au Domaine, elle avait remarqué ce changement de comportement. Ils s’étaient confrontés de nombreuses fois à ce sujet, et Arya, accompagnée de son fils toujours présent sous leur toit et de leur deux aînés, avaient entrepris la dure tâche de rassurer son inquiet de mari. Ce n’était pas une mince affaire, avec quatre fils sur protecteurs envers leur sœur et un mari inquiet, mais Arya avait fait face, et montré une résistance sans faille face aux angoisses des siens. Ce soir, les enfants revenaient, et tous pourront voir que la nouvelle étudiante allait bien.

Arya se blottit contre le buste de son mari, appréciant de sentir ses bras se refermer sur elle. Soupirant d’aise, elle ferma les yeux. Tout près de la cheminée, la chaleur des flammes léchant leur corps entrelacés, ils profitaient de leur étreinte, sachant que dans quelques heures, ils s'abstiendront de ses effusions dans les parties communes de la maison. Les mains posés sur le doux tissu de la robe de sa femme, Zile se confortait dans les effluves que lui apportait cette étreinte. Le tendre parfum de sa moitié, enveloppé par l’odeur chaleureuse des braises incandescentes, le laissait béas, exalté et pleinement ouvert aux frémissements de la magie de sa femme en accord avec la sienne. Les yeux fermés, il apaisait ses angoisses concernant sa fille, sachant qu’il la verrait le soir même, qu’il pourrait enfin la serrer dans ses bras et retrouver la tendre émotion d’un père retrouvant son enfant. Merlin, il avait hâte.

Soudain, sans qu’aucune des deux moitiés du couple enlacé ne le remarque, une ombre s’abatit sur eux.


- Vous profitez avant le retour des petits ? s’éleva une voix moqueuse.

Près d’eux, courbé sous le poids d’un énorme chaudron taille cinq, un jeune homme brun haletant les regardait en souriant. A ses côtés, un homme plus âgé souriait également. Arya et Zile, étonnés, s’écartèrent légèrement l’un de l’autre, sans toutefois se lâcher.


- Zakary, merci de nous prévenir de ta présence, ironisa sa mère en s’adressant à l’homme le plus âgé. Depuis quand es-tu là ?
- Je viens d’arriver Maman, j’ai transplané dans la chambre de ‘Naël…

Zakary eu la présence d’esprit d’afficher un air penaud, se retenant à grande peine de lever les yeux au ciel. Il se dirigea vers sa mère et se baissa légèrement pour lui déposer un baiser sur la joue. Il effectua le même geste envers son père avant de se retourner vers son frère, resté derrière lui.

- M’man, je descend ça au Labo, intervient le deuxième jeune homme en désignant sa lourde charge. Je préfère le mettre en sécurité, la potion doit reposer quelques heures. Qui sait ce qu’Aodren serait capable de faire…
- Tu es un sorcier majeur, Natanaël, l’as-tu oublié ? demanda Arya en regardant son fils. Pourquoi ne lances-tu pas un sortilège sur ce chaudron ?
- Ah… J’avais oublié. Wingardium Leviosa, dit-il en pointant sa baguette sur son chaudron qui s’envola près de lui. En fait, quand est-ce qu’Ely et Ao’ arrivent ?

Ce disant, il regarda son père. Zile était celui qui s’occupait de ces affaires de gestion, sa femme étant trop occupée pour le faire. Peut-être aussi n’aimait-elle pas ce genre de préoccupations.

- Dans une heure, comme tous les ans, fils, répondit Zile. Puis, son regard se tournant vers l'aîné, il rajouta : pourquoi Narym n’est pas avec toi ?
- Il nous rejoint à la gare.
- Comme tous les ans, sourit Arya en posant une main sur l’épaule de son mari. Et si vous alliez vous occuper du repas ? Zakary, ta manie de cuisiner manuellement finira par nous mettre en retard…

A chacun des retours à la maison des enfants, était préparé un repas d’accueil, auquel toute la famille participait. Cela était très important pour Zile. Il voulait que ses enfants sachent qu’ils étaient attendus. Il accompagna son fils aîné à la cuisine, près à dégainer sa baguette pour l’aider dans sa tâche. Si le père aimait s’occuper de ses tâches sans magie, cela ne concernait pas la cuisine. Il n’était pas un cordon bleu, il n’aimait pas passer des heures à faire mijoter des plats. Alors il laissait son fils faire. Ce dernier aimait autant cuisiner que Zile détestait cela.
Poliment, les deux hommes refusèrent la proposition silencieuse de Natanaël qui souhaitait les aider. Il avait beau avoir dix-neuf ans, il était très maladroit. Ses parents n’auraient jamais cru le voir un jour viser le travail de médicomage tant il avait des difficultés à coordonner sa main gauche avec sa main droite. Pourtant, le jeune homme passait ses journées penché sur des potions, travaillant avec acharnement afin de réaliser son rêve.

- Occupe-toi de ta potion, lui dit Arya lorsque Natanaël revient vers elle, penaud. Tu n’auras plus le temps pour ça dès ce soir, avec ta soeur et ton frère dans les pattes.
- Oui, dit-il. Son sourire était beau à voir, sa joie fut rapidement retrouvée à l’idée de revoir Aodren et Aelle, cadets de la famille. Mais tu sais qu’Aelle ne me dérangera pas, même si cela reste mon plus grand rêve. Peut-être que la vie en communauté l’aura rendu moins bizarre ?
- Natanaël, intervient son père de la cuisine, ne parle pas ainsi de ta sœur ! Elle n’est pas bizarre, elle…
- Elle est un peu plus étrange que la moyenne, ria Zakary. Voyant le regard de son père, il continua : Papa, tu sais qu’Aelle pourrait être totalement décalée que nous l’aimerions quand même. On aime la taquiner.
- Et elle ne comprend pas, intervient Arya. Alors ce soir, pas de chamailleries, je ne souhaite pas que vous la vexiez dès son retour. Laissez-la respirer, je ferais passer le mot à Aodren.

L’intervention de la femme de la famille eu pour effet de ramener le calme dans le salon. Ce soir, chacun se retiendrait de taquiner la plus jeune de la maison.

Bientôt, le silence pris place dans le salon, laissant s’élever les bruits de la vie quotidienne. Zile et Zak’ s’activaient dans la cuisine, l’un réticent et l’autre étincelant. Natanaël avait disparu sans un bruit dans les profondeurs des sous-sols avec l’autorisation de sa mère, tandis que cette dernière se replongeait silencieusement dans son dossier. Un calme habituel qui n’était cependant pas destiné à perdurer. Alors que chacun se plongeait dans ses pensées, dans la meilleure façon de cuisiner cette tomate ou dans la hâte de revoir leur jeune soeur rafraîchissante et leur excentrique petit frère, un bruit se répercuta soudainement sur les murs de la maison. Un crissement strident qui fit sursauter Arya, qui se leva rapidement, sur le qui-vive. Loin de paniquer, contrairement à Natanaël qui réapparu en courant, elle agita sa baguette dans les airs, et une étincelle plus tard, le bruit cessa. Soufflant de soulagement, Natanaël clapit :


- C’était quoi ça ?J’aurais pu faire tomber mon chaudron !
- Tu ne l’as pas réparé ? s’exclama Arya en regardant Zakary.
- Je voulais le faire, mais je n’ai pas eu le temps. Je devais bosser mes examens. Tu aurais dû demander à Narym, il est moins occupé…
- Ton frère n’est pas étudiant, Zakary.
- Moi non plus, je suis apprenti, Papa, s’écria-t-il, outré.
- Je sais, fils, répondit le quarantenaire en lui offrant un sourire rassurant. Mais ta mère t’as demandé ce service il y a de cela plusieurs mois, et tu as accepté. Tu dois tenir tes responsabilités ou prévenir ta mère de ton manque de temps
- Oui, mais… Excuse-moi, Maman. Je m’en occupe demain, dit-il en regardant sa mère de biais.
- Ne t’en fait pas, Zak’, marmonna Arya.

La femme, loin de porter attention sur les excuses tangibles de son fils, regardait la cheminée avec consternation. Si le bruit avait été fort désagréable, la raison de celui-ci ne l’était pas moins. Elle se dirigea d’un pas rapide vers la cheminée, devant laquelle elle se pencha. Forte de son intuition, elle s’exclama :

- Gontag ! Que fais-tu là ?

Seul le bruit de la braise qui frétille lui répondit. Alors, plongeant son regard dans les flammes, elle attendit. Soudainement, une tête se dessina dans le rouge incandescent de la cheminée. Dans un bruit rendu sourd par le craquement des flammes, la tête se fendit en deux pour laisser entrevoir une bouche :

- Arya, s’exprima l’homme. Excuse-moi de te déranger chez toi, mais cela ne pouvait pas attendre, malheureusement.
- Ce n’est rien, soupira la femme en s’asseyant devant le feu. Ma famille est là, dis-moi tout.
- Oh, baragouina l’homme, gêné. Bonsoir ! Zile, salua-t-il lorsqu’il apparut à son tour devant la cheminée.
- Tu ne viens pas m’enlever ma femme, j’espère ?
- Zile ! s’agaça ladite femme avant de lui faire signe de s’éloigner. Excuse-moi Gontag. Alors, qui a-t-il ? Je n’ai pas beaucoup de temps, je dois aller chercher mes deux cadets à la gare, ils rentrent de Poudlard.
- Je… Oh non. Je ne te demanderais pas ça si je n’y étais pas obligé Arya, mais…

Arya soupira une nouvelle fois en se prenant la tête dans les mains. Gontag son collègue et associé à l’hôpital, ne la contacterait sûrement pas s’il était capable de se débrouiller seul. Il ne le faisait qu’en dernier recours, tout comme elle. Elle retient l”exclamation désagréable qui menaçait de lui échapper, par respect pour sa famille. Bien que terriblement agacé, elle savait comment allait se finir cette soirée, et elle ne pouvait s’empêcher de sentir son coeur se tordre violemment dans sa poitrine.

- … dans un sac sans fond, tu te rends compte ? Arya, parfois je me dis qu’ils le font exprès, soupira Gontag d’une voix lasse qui inquiéta la femme. Sa famille entière était près de lui, ses fils, son bambin, sa partenaire. Un inconscient ! s’exclama-t-il soudainement en faisant sursauter son interlocutrice.
- Je présume qu’ils ne vont pas très bien ?
- Un carnage… (Arya frissonna à ces mots). Le concerné est insupportable, et personne n’est là ce soir. Tu es la seule qui peut aider, et ça ne peut pas attendre demain.

Gontag avait l’air fortement coupable de venir ainsi la déranger dans sa demeure. Pourtant, Zile savait qu’une autre personne aurait pu se libérer. C’était toujours possible. Mais Gontag et Arya ne travaillaient jamais l’un sans l’autre lorsqu’un cas comme celui-ci se présentait. Résigné, il regarda sa femme se lever en époussetant ses genoux.
Arya jeta un regard à son mari qui ne la quittait pas du regard. Derrière lui, ‘Naël et Zak’ ne se privaient pas d’écouter leur conversation, mais elle n’eu pas la force de les renvoyer -elle n’aurait pu le faire, ils étaient adultes désormais-. Une bataille se jouait en elle, la tristesse et l’excitation se combattaient avec ardeur, aucun ne voulant laisser du terrain à l’autre. Son coeur s’emballait férocement à l’idée du cas unique qui l’attendait à Sainte Mangouste, en pensant aux chirurgies qu’elle pourrait faire, retenant son souffle afin de sauver une vie. Mais une boule grossissait aussi dans sa gorge, la laissant le souffle court alors qu’elle imaginait ses deux enfants déçus de ne pas la voir. Elle n’avait jamais manqué le retour de ses enfants, et ce soir était le premier de son unique fille. Elle avait ressassé des dizaines de fois cet événement, se voyant plonger dans le regard de sa fille si semblable au sien, partageant avec elle ce que les autres partageaient dans une étreinte. Ses enfants comprendraient-ils ?


- J’arrive, soupira Arya, demandant silencieusement à son collègue de s’en aller.

Lorsque la cheminée cessa de crépiter follement, Arya se tourna vers son mari, qu’elle qualifia d’une oeillade attristée. Ce dernier, bien que déçu de passer cette soirée sans la femme qu’il aimait, lui sourit tendrement en s’approchant d’elle :

- Je leur expliquerais, Chérie, dit-il en déposant un baiser sur sa joue. Ils comprendront.
- Aelle, elle…
- Elle sera raisonnable, elle est assez grande pour comprendre ce genre de chose maintenant. Aodren aussi. Va vite, peut-être que tu ne rentreras pas si tard…

Dans la cuisine, les deux fils du couple les observaient à la dérobade. Ils saluèrent chaleureusement leur mère quand elle s’en alla, attristés eux aussi de ne pas passer la soirée avec elle mais compréhensifs. Ou peut-être était-ce l’habitude ?

- On y va ? les interpella Zile. Ils ne vont pas tarder à arriver, nous ferions mieux d’être présent lorsque ce sera le cas. Et bien ! dit-il lorsqu’il s'aperçut que ses fils ne bougeaient pas, vous ne voulez plus retrouver Aodren et Ely ?
- Si ! s’exclamèrent-ils en coeur. Mais, continua Zakary en passant sa cape d’hiver, tu ne crois pas que Maman aurait pu insister auprès de Gontag ?
- Et c’est le premier retour d’Ely, dit Natanaël. Elle est compréhensive et mature, mais je n…
- Comme tu dis, elle est compréhensive. Aelle n’est pas rancunière, ne vous inquiétez pas. C’est ainsi que les choses doivent se passer, nous n’y pouvons rien. Sa soirée n’en sera pas gâchée pour autant, nous lui ferons honneur, à elle et à votre frère, ce soir !
- Tu as raison, sourit Zakary.

Zile, Natanaël et Zakary Bristyle finirent de se préparer avant de transplaner à la gare King Cross où ils retrouveront Narym. Ils allaient revoir les deux membres de leur famille qui étaient restés loin d’eux durant quatre mois. De long mois durant lesquels leur vie s’étaient déroulées paisiblement. Zile avait vendu des livres. Natanaël avait été un bon élève de l’FME. Zakary continuait son apprentissage. Narym vivait toujours à la moldu. Arya avait sauvée des vies. Il était difficile pour la famille Bristyle d’imaginer que les quatre mois de leur deux cadets puissent avoir été différents. Aodren serait toujours ce jeune garçon exubérant dont le sourire et les taquineries égayaient les cœurs de chacun. Et Aelle resterait encore cette enfant joyeuse, emplis de connaissance malgré son jeune âge, symbole de pacifisme parmi cinq frères turbulents. Oui, il y avait peu de chance que les choses changent en quatre mois.


Reducio
Je tiens à m'excuser pour la myriade de couleur. Ce n'est pas très joli. Mais je ne peux guère faire mieux je pense, je n'ai pas beaucoup de patiente.
02 mai 2017, 18:44
 Angleterre  Le gouffre de l’Insensée  Solo 
- II -


17 Décembre 2041 - 18h
Poudlard Express - Gare King Cross
1ère année - Vacances scolaire de Noël



Tch. Tch. Tch.
Le souffle court, je regarde devant moi. Je ne veux pas tourner la tête, effrayée par ce que je pourrais trouver près de moi. A l’orée de mon regard se dessine une forme vague, une tâche qui garde tournée vers elle toute mon attention.
Tch. Tch. Tch.
Mon coeur bat la chamade, et cette forme près de moi ne veut toujours pas se révéler à moi. J’ai peur. “Qu’est-ce que tu fais là ?”. J’essaye de crier mais rien ne s’échappe de ma bouche. Et si je reste ainsi pour le restant de ma vie, finiront-ils par m’oublier ?
Tch. Tch. Tch.
Le mouvement de l’ombre attire mon regard, elle seule reste à présent dans ma perception. Elle m’effleure, doucement, et je frissonne. Lorsqu’elle passe devant mon regard, cette grande silhouette, je comprends qu’elle n’est pas seule. Ce n’est pas elle mais ils. Ma famille. Que font-ils là ? Non, c’est trop tôt ! Effrayé, je tente de reculer, mais rien ne se passe. Rigide, désormais vouée à voir mon destin se dérouler devant mes yeux, je regarde les membres de ma famille se retourner un à un. Narym. Papa. Maman. Natanaël. Zakary. Aodren.
Tch. Tch. Tch.
Ils me jugent. Me méprisent. Ils ont peur. Mais cela ne me touche pas. Narym s’avance vers moi. Je m’approche pour lui parler, je veux qu’il me rassure. “Je ne risque rien, n’est-ce pas ?”. Mes mots d’enfants ne quittent pas ma bouche.
Tch. Tch. Tch.
Il lève sa baguette magique au niveau de sa bouche, puis dans un rictus moqueur, il la coince entre ses dents. “NON !”. Il ne m’entend pas. Il frappe le bout de bois qui se casse entre ses dents. “Non ! Non ! No…”. Mon cri résonne sans fin dans l’obscurité de mon esprit.
Je n’arrive plus à respirer.



Un long sifflement strident m’arracha soudainement à mon sommeil agité. Transpirante, le souffle court, je me relevais doucement sur mon siège. Je me trouvais dans le Poudlard express. Je regardais autour de moi, craignant de voir apparaître une forme déshumanisée près de moi. Les images de mon rêve toujours présent dans mon esprit, je fermais les yeux, tremblante. *Ce n’est qu’un cauchemar, Ely, tout va bien se passer*. Cela faisait des années que je n’avais plus fait de cauchemars.
Je ramassais le livre que j’avais laissé tomber en sursautant. Lasse, je passais mes mains sur les pages froissées, souhaitant rendre honneur à cet ouvrage passionnant. Les Potions n’avaient pas suffit à m’éloigner de mes craintes. Rien ne le pouvait, cela durait depuis le jour de mon anniversaire et mon sentiment d’insécurité perdurait. Lorsque j’avais quitté la maison, j’avais pensé maintes fois au bonheur que j’éprouverais lors de mon retour parmi les miens. Pourtant, c’était loin de ce que je ressentais aujourd’hui.

En soupirant, je me calais contre mon siège. Le train roulait à toute vitesse, mais je savais dors et déjà qu’il n’allait pas tarder à arriver : commençait à apparaitrent les traces de la gare, langues de béton et wagons abandonnés. Tout cela défilait à vive allure derrière ma fenêtre ; les battements de mon cœur s’intensifiait au rythme des murs de briques que nous dépassions en ralentissant. Distraitement j’écoutais les bruits des enfants derrière la porte fermé de mon compartiment, je me demandais comment j’allais réagir avec ma famille. Je n’étais plus certaine d’être capable de cacher mes véritables pensées. J’avais longuement réfléchi sur la façon de leur raconter ce premier trimestre, et la solution que j’avais trouvé n’étais idéale ni pour moi, ni pour eux.

Le train perdait de sa vitesse. Nous laissions derrière nous les champs et les rails. Il ne restait plus que ce quai grouillant de monde. Des pères, des mères, des grands-parents et des enfants. Toutes les générations se levaient pour accueillir les enfants éloignés ; parmi eux, les miens. Mais je ne voyais pas encore la frimousse noir de Papa, les yeux scrutateurs de Maman, l’oeil pétillant de Zakary, l’air aimant de Narym et la maladresse de Natanaël. Pour le moment je ne voyais que le chemin qui me mènerait jusqu’à eux.
Tirant ma lourde valise derrière moi, je quittais mon compartiment. Le train s’était quelque peu allégé de ses occupants, mais cela n’empêchait pas le couloir de résonner sous la cacophonie des jeunes gens. Devant la porte, des étudiants parlaient avec entrain d’un sujet qui ne m’intéressait guère. Des Serpentards et des Serdaigles, au vu de l’uniforme qu’ils avaient gardés. Je l’avais moi-même rapidement ôté, retrouvant avec plaisir mes robes sorcières noires unies, mes bottines et ma cape d’hiver sombre. J’avançais de trois petits pas avant de me stopper, hésitante. Je soupirais doucement, encore bouleversé par mon cauchemar. Le groupe d’amis n’avaient pas dans l’idée de me laisser passer ; un rapide regard sur la droite me confirma que le passage était fin libre.

- Tu verras, on ira du côté Moldu ! s’écria un grand garçon blond en frappant dans l’épaule de son ami basané en riant.

Ce dernier lui répondit, mais la réponse ne parvient jamais à mes oreilles. Je n’osais pas prendre la parole pour me manifester, la gêne me clouait sur place. Je baissais la tête en rougissant, soudainement à court de mots. Agacée, mais n’osant pourtant pas prendre la parole, je préférais la méthode des lâches ; je tirais ma valise à grand renfort de bruit puis je fermais la porte coulissante en la claquant exagérément. Bien que la honte colorait mes joues, j’osais tousser pour rajouter à ce fracas.
Maintenant, je n’osais plus me retourner. Je craignais de le voir me regarder moqueusement. Mon cœur se serra brusquement dans ma poitrine. je m’étais fait la promesse de ne plus me laisser atteindre ! Je me savais capable de me battre. Au fond de moi, une petite voix pernicieuse me soufflait que cela serait agréable de se libérer une dernière fois avant de se cacher derrière un masque de jeune fille calme.
Je me tournais. Le couloir s’offrit alors à moi, vide comme au premier jour. Je regardais au bout de celui-ci pour apercevoir la bande de jeune homme qui s’éloignait sans même un regard pour moi, riant d’une sujet qu’eux seuls connaissaient. Je soufflais bruyamment, agacée de m’être ridiculisé sans raison. Je pris le même chemin qu’eux, seule dans le couloir du Poudlard Express que tous avaient désertés.

Plongée dans mes pensées, j’en reviens inévitablement au sujet que j'essayais d’oublier. Lancinante, douloureuse, l’image de la jeune Gryffonne des sous-sols m’apparut à l'esprit. Elle. Je riais doucement, clairement mal à l’aise. Son nom m’était comme interdit. Une malédiction que moi seule m’avait imposée. Avait-elle été dans le train ? Si près de moi sans que je ne le sache ? Il était possible qu’elle soit restée à Poudlard. L’idée qu’elle puisse se rendre au bal me frappa alors, et je restais pétrifié dans le couloir. Qui aura-t-elle choisi pour l’accompagner ? Désagréablement, mon cœur tressauta dans ma poitrine et je repris mon chemin. Sans vouloir connaitre la raison du subit désespoir qui m’envahit, je tirais ma valise vers la sortie en soupirant, anéantissant chaque pensées me menant à Elle.

J’étais énervée, et mon cœur effectuait de désagréables sauts de plus en plus écœurant. Ils allaient apparaître bientôt, et je devrais être cette Aelle que je n’étais plus. Qui devrais-je être ? La jeune fille calme, timide et décalée de la famille Bristyle ou la Aelle que Poudlard connaissait, distante, désagréable, lunatique et violente ?
*J’aurais peut-être dû rester à Poudlard*.
Je m’arrêtais, n’osant plus sortir : aurais-je réellement voulu rester au château et ne pas voir ma famille pour les fêtes ? Ne pas les voir jusqu’aux prochaines vacances alors que cela faisait déjà de long mois que nous étions séparés ? Non, ils me manquaient… Mais l’idée de leur faire face était difficile, depuis qu’Ao’ avait entraperçu celle que j’étais loin d’eux. Je riais nerveusement : je n’avais cessé de penser à Elle, malgré mes efforts pour ne pas le faire. Je construisais peu à peu ma défense contre elle en alimentant la colère que je ressentais à son égard. Il était plus facile d’haïr que d’aimer. Être loin du château n’était finalement pas une mauvaise idée, je retrouverais la Aelle distante et fausse, celle que je me ferais une joie de jouer une fois revenu à l’école. Je sortais doucement du train. J’étais rassuré, je savais ce que je devais faire dorénavant. J’avais oublié que les autres n’apportaient jamais de bonnes choses, même si certaines rencontre m’avait rendu heureuse. Mais je m’étais laissé approché, et cela avait eu des répercussions énormes. La maison me permettrait de me remettre les idées au clair.

J’avançais sur le quai en enterrant mes pensées ; devant les wagons, les familles quittaient peu à peu l’endroit avec leur marmailles. Une famille restait cependant immobile. Ils étaient là, ma famille. Le sourire qui apparut sur mes lèvres était libérateur, mon cœur se gonfla dans ma poitrine. J’avais beau avoir des craintes, j’étais heureuse de les retrouver.
Papa me regardait avec un grand sourire par dessus l’épaule de Aodren qui essayait de s’extirper de ses bras en riant. A ses côtés, j’eu la joie de voir les visages rayonnants de Narym, Zakary et Natanaël.


- T’es en retard, Ely ! me lança Narym de sa belle voix grave lorsque j’arrivais près d’eux.

Je riais doucement en abandonnant ma valise près du petit groupe. Je laissais mon plus grand frere me faire une caresse sur la tête. Ces contacts que j’aborais avec les autres m’avaient manqué avec ma famille, je le remarquais dorénavant. Je pris cependant un malin plaisir à ignorer Narym pour me tourner vers Papa, qui lâcha Aodren pour venir me serrer rapidement contre lui. Étrangement, ce geste me remplit de gêne, et je me tendit en sentant ses bras se refermer sur moi. Il dû le comprendre car il me permit de m’éloigner de lui avec un sourire gauche :

- A peine quatre mois loin de moi et ma petite fille m’oublie…

Son ton dramatique nous fit tous rigoler, et j’oubliais vite cet étrange incident. Un à un, mes frères eurent un geste d’affection pour moi : l’un me chatouilla, l’autre m’obligea à lui donner un baiser. Ao’ me donna même un coup affectueux sur l’épaule en me lançant un regard complice qui ne pouvait signifier autre chose que “on est à la maison, petite soeur !”. Ces gestes tendres me réchauffèrent le cœur et je répondais au regard de mon Serpentard de frère avec un large sourire.

- Papa, je ne pourrais jamais t’oublier, lui dis-je en souriant. Je suis heureuse de vous voir ! Mon ton joyeux était dérangeant à retrouver. Elle est où Maman ?

En effet, elle n’était pas là. Elle se faisait pourtant une obligation de toujours venir récupérer mes frères au train, que ce soit pour les départs ou les arrivées. Je ne pus empêcher mon ton de prendre une teinte de déception, c’était la première fois que je rentrais et elle ne faisait même pas l’effort de venir ? Après tout, j’étais la dernière, elle devait en avoir assez de se coltiner la gare plusieurs fois par an depuis tant d’années… La voix douce de Papa me sortit de mes pensées.

- Maman a eu une urgence, ma chérie…

Bien sûr, une urgence. Me prenait-il pour la moitié d’un belliwig ? Maman n’avait jamais d’urgence à proprement parler. Elle n’avait qu’une foutue passion qui lui prenait tout son temps. Cette “urgence” ne lui était jamais arrivé avec mes frères. Je n’étais pas si importante finalement…

- Apparemment les bombabouses ne font pas bon ménage avec les sacs sans fond... , soupira mystérieusement Zak’
- Ce n’est pas à prendre à la légère, créti…
- Oh, le résultat m’intéresse, interrompit Aodren sans se soucier du regard courroucé de Natanaël, qu’est-ce qu’il s’est passé, Zak’ ?

Le sujet eu le mérite de détourner mes pensées de l’abandon de Maman. Je regardais mon frère d’un regard curieux ; comment une bombabouse pouvait mal réagir avec un sac sans fond ? Ce devait sûrement être du à l’odeur stagnant dans la bourse, ou l’explosion peut-être qui aurait sans doute lé…

- La question n’est pas là, les enfants, intervient Papa pour calmer les voix qui commençaient à s’élever. Il me jeta un regard d’avertissement : Aelle, ne t’imagine pas découvrir quel serait le résultat de ce mélange, l’homme qui en est responsable n’est pas au soin de ta mère pour rien.

Sur ces mots, il se saisit de ma valise et s’éloigna du quai. Je soupirais dramatiquement en le suivant, encadrée par le rire de mes frères, secrètement heureuse de retrouver ma famille inchangée. Secrètement trahie par l’abandon de Maman.

Alors que nous passions la voie 9 ¾, une main se posa sur mon épaule, me forçant à m’arrêter. Devant moi, Ao’, Zak’ et ‘Naël s’amusaient avec Papa, essayant comme toujours de lui faire perdre son calme. C’était peine perdu, mais leurs efforts étaient attendrissant à regarder.

Je me retrounais. Narym était derrière moi, comme je l’avais deviné. Je levais la tête pour atteindre ses yeux. Comme souvent, ces derniers étaient cachés par quelques mèches qui s’échappaient de son catogan. Il était beau, mon grand frère, me surpris-je à penser. Il était le seul de la famille à s’habiller à la moldu, avec un pantalon bleu d’une étrange matière, une chemise foncé et un long manteau que je savais doux au toucher. Papa et Maman n’aimaient pas son style de vêtements, je ne le comprenais pas. J’aimais voir Narym aussi original, je ne l’imaginais pas autrement. Il me serra brièvement l’épaule en me souriant gentiment. Mon estomac se tordit désagréablement ; il m’était difficile de faire face à la tendresse que mon grand frère avait pour moi. Cela me donnait l’impression d’être une personne horrible, j’avais alors la sensation de ne pas mériter l’amour des miens. Il était le seul de mes frères, peut-être même de ma famille, à me connaître légèrement plus que ce que je ne laissais voir.

- Tu vas bien, Ely ?
- Bien sûr que ça va, je vous ai enfin retrouvé ! lui répondis-je d’une voix forcée.

Je rajoutais à cela un sourire, ni trop grand ni trop petit. Paradoxalement, je me sentais mal à l’intérieur. Mon frère me lança un regard d’avertissement qui me dérangea. Il signifiait qu’il n’était pas dupe. Je me refermais légèrement, ne souhaitant pas qu’il voit autre chose que le bonheur que je lui offrais. Je ne voulais pas me battre contre les conséquences que m'apporterait le fait de parler de ce que j’avais sur le cœur. Je n’avais pas besoin de mes frères pour combattre mes démons.
Je me dégageais de la poigne de Narym et lui attrapais la main.


- Le Calmar m’a remarqué, je pense. Je suis sincère, je parviendrais à devenir son amie d’ici la fin de ma scolarité !
- Tu penses ? Il est revêche, tu sais.

Ma phrase ne détourna pas Narym de ses préoccupations me concernant, je le savais. Mais il me suivit sans rien dire, et je lui en fus reconnaissant.

La famille nous attendait devant la gare. Nous allions rejoindre un coin discret afin de transplaner vers la maison sans alerter les moldus. Des centaines d’entre-eux gravitaient autour de nous sans savoir que nous étions des sorciers. Quelques une regardaient nos vêtements d’un air curieux, d’autre ne le remarquait même pas. il y avait du bruit partout, le froid obligeait les passants à marcher rapidement afin d’entrer dans la gare, ne se souciant guère de bousculer les autres sur leur passage. Un vieil homme tamponna violemment Aodren qui eu pour premier réflexe de crier. Je le vis venir avant même qu’il ne bouge : sa main chercha sa poche ; il allait sortir sa baguette. Heureusement, Papa voyait tout. il se saisit de la main de mon frère et se rapprocha de lui? En quelques mots, il parvient à le calmer et mon frère rangea son arme sous les regards de reproche de nos aînés.

- Pardon, je ne voulais pas... , il se dandinait sur place, réellement coupable de son impulsivité.

Des scènes comme celle-ci était récurrentes chez les Bristyle. Lorsque l’un d’entre nous commettait une erreur, il s’excusait puis nous faisait part de la raison de son erreur et de ce qu'il avait ressenti. Un rituel que j’évitais dès que je le pouvais, n’appréciant pas parler de moi. Je savais que ce soir, lorsque nous serions à table avec Maman -si elle rentrait-, nous parlerions de cela.
Je laissais ma famille faire les groupes de transplanage. Je regardais autour de moi avec intérêt. ici, il y avait un groupe de petits enfants rangés en rang parfait. Là, un beau couple se retrouvait avec émotions. Et là-bas… Mon regard rencontra celui d’un homme lourdeau. Il portait un uniforme noir ainsi qu’un chapeau ridicule, que je savais être celui des aurors moldus. Il regardait vers nous d’un regard qui se voulait être discret. En suivant son regard, je remarquais qu’il lorgnait Viffet, le hibou d’Aodren. La créature, qui avait un nom bien ridicule selon moi, s’agitait dans sa cage en piaillant à tout va. Il allait nous faire remarquer.


- On y va, les enfants. Aodren avec moi, Aelle avec Narym.

Papa avait lui aussi vu le gros bonhomme se rapprocher de nous. Il nous poussa naturellement vers une rue adjacente à la gare. Il ria fort avec Narym qui avait compris son jeu et qui me prit par les épaule pour me faire avancer. Je jetais un regard derrière moi; un sentiment d’excitation s’empara de moi lorsque je remarquais que l’homme nous suivait. Je le regardais s’approcher, mais le perdis de vu lorsque mon frère me poussa dans la ruelle. J’allais protester, mais il ne m’en laissa pas le temps. Il serra douloureusement ma main dans la sienne, et nous disparûmes aussitôt dans “crac” sonore.

J’eu alors l’impression que mon nombril m’était arraché par un crochet. Ma respiration se coupa alors que tout mon corps était secoué sous la pression du transplanage. J’essayais de fermer les yeux, mais c’était trop tard. Les couleurs défilaient devant moi, mais je ne saurais en reconnaître aucune. Tout s’enchaînait bien trop vite et un mal de tête lancinant me vrilla le crâne.
La gravité se rappela soudainement à moi. J’eu la sensation de tomber de plusieurs mètres de haut. La rencontre avec le sol fut rude, je m’affalais dans l’herbe en respirant difficilement.


- Respire profondément, tu ne tarderas pas à avoir ton chocolat, me dit Narym en me caressant doucement le dos.

*C’est ce que je suis en train de faire, ça se voit pas !*, ma respiration douloureuse m’empêcha fort heureusement de prononcer ces mots que je n’aurais pu retenir. Je me relevais sur les coudes pour voir Papa et Aodren qui atterrissaient calmement près de nous. Ils étaient suivis de près par Zak’ qui riait à une plaisanterie de ‘Naël, semblant tous deux sortir d’un café plutôt que d’un transplanage.

Lorsque tous les regards convergèrent vers moi, je rougis de honte. Je sentais les efforts qu’ils ne faisaient pour ne pas rire. J’essayais de ne pas me vexer, en vain. Zak’ me fit l’affront de venir me proposer son aide, et c’est sous les gros yeux de mes autres frères qu’il reçut mon regard noir et mon geste de recul en retour. Je me relevais toute seule en époussetant ma cape soigneusement. Sans un regard pour ma famille qui était habitué à ce comportement, je me saisis de ma valise pour entrer dans la maison.

Je n’avais jamais supporté ce mode de transport dans lequel je ne parvenais jamais à atterrir normalement. C’était plus fort que moi, le haut et le bas se renversaient, je ne tenais plus debout, et j’avais l’impression que je pouvais me perdre en chemin à chaque instant. Et ça me rendait malade. Bien entendu, ma famille s’amusait de ces réactions et ne perdait aucune occasion pour me charrier. Ce soir-là, ils n’avaient rien dit car je venais de rentrer. Ao’ devait avoir compris que je pouvais perdre le contrôle, car il était habituellement le premier à me faire des remarques.
Je lui jetais un coup d’oeil discret. Il parlait avec nos frères, tellement à l’aise et l’air heureux. J’espérais de tout mon cœur qu’il ne parlerait pas de mon comportement à Poudlard. Et qu’il ne l’ai pas déjà par hibou, même si j’en doutais. Les nouvelles voyageaient vite dans ce château, et j’étais persuadé qu’il avait entendu parler de mon comportement désagréable, de mes aventures interdites et surtout, surtout je savais qu’il se rappelait clairement du moment où je lui avais crié dessus pour la première fois.
09 mai 2017, 21:03
 Angleterre  Le gouffre de l’Insensée  Solo 
- III -



23 Décembre 2041
Salon - Domaine des Bristyle
1ère année - Vacances scolaire de Noël



Limpide, le silence emplissait la pièce d’un vide étrangement agréable. Le soleil se réverbait sur le bois brillant de la table du salon, s’échappant des nombreuses fenêtres. Toute la maison baignait dans une chaleur réconfortante, de celle dans laquelle on se prélassait insensiblement. Pourtant, au travers cette vitre près de la cheminée, si l’on faisait fi de la vague de soleil, une couverture neigeuse éblouissait les yeux, signe que la température extérieure n’avoisinait pas les 0°c. La différence de température était agréable, lorsque l’on était chaudement installé à l’intérieur.

Le salon était une grande pièce. Du bar qui le séparait de la cuisine jusqu’à la cheminée qui cloturait la pièce, tout était fait de sorte d’accueillir le confort des membres de la famille. Actuellement, il n’y avait personne d’autre dans la pièce que moi. Une jambe passée par dessus l’accoudoir, un livre reposant dans mes mains, je profitais de la chaleur de la cheminée qui me faisait face. Je m’étais penché inconfortablement sur les pages noircies de l’ouvrage, passionnée par les termes que j’y trouvais. Depuis quelques heures maintenant, je ne parvenais pas à détourner le regard de ce que j’apprenais. Consciencieusement, je prenais des notes dans le carnet qui reposait sur la table que j’avais tiré jusqu’à moi. Je tentais de comprendre quelques un des mots abscons qui formaient les phrases riches de sens que je lisais. Frustrée de voir que je ne comprenais pas tout au livre que j’avais choisi, je me préparais déjà aux futures recherches qui me permettrait de supprimer l’incompréhension pour ne laisser que le savoir.

La maison était calme, on ne pouvait qu’entendre le bruit de ma plume qui crissait sur le parchemin jauni de mon carnet. Le crépitement des flammes était une mélodie doucereuse à mes oreilles. Mon bras nu semblait brûler sous le rayon de soleil qui le frappait, mais je ne bougeais pas, appréciant de sentir mon corps s’alourdir sous la chaleur. Pour une fois, je profitais du salon sans le brouhaha de ma famille.
Alors que je butais sur un mot compliqué, relisant sans cesse les lettres le composant dans l’espoir vain d’un éclaircissement, un claquement me fit lever la tête. Sentant pointer l’agacement, je regardais la porte blanche qui menait au sous-sol. Le bruit venait d’en-bas, et cela ne signifiait qu’une seule chose : l’un de mes parents n’allait pas tarder à fouler mon espace. Le temps d’un instant, j’hésitais ; je n’avais qu’à me lever et me précipiter dans les escaliers, ainsi j’échapperais aux questions et aux conversations futiles. Au dernier moment cependant, je décidais de rester à ma place, la chaleur alourdissait tant mon corps que je ressentais une fatigue lancinante rien qu’à l’idée de gravir les trois étages pour parvenir à ma chambre. Tant pis, je supporterais cette déconcentration durant quelques minutes.

Après un instant de flottement, la porte blanche s’ouvrit et laissa s’échapper deux adultes qui riait bruyamment. D’un air ennuyé, je levais la tête pour les regarder. Je fronçais les sourcils quand je remarquais que le rire masculin que j’entendais n’était pas celui de Papa. Devant moi, une scène que je trouvais déconcertante se jouait : Maman et un grand homme au crâne rasé se faisait face. Ils ne m’avaient pas vu. Je reconnu sans effort l’Homme-qui-n’était-pas-Papa. Gontag n’était pas un étranger à la famille, il venait souvent à la maison, bien qu’il fasse preuve d’une grande gêne lorsque cela arrivait. Aujourd’hui, ce n’était pas le cas, il parlait d’une voix passionnée à ma maman, qui l’écoutait plus sérieusement qu’elle ne l’avait jamais fait pour moi. Cette fois-ci réellement agacée sans savoir pourquoi, je plongeais ma tête dans mon livre. J’essayais de faire fi de leur présence, mais leur chuchotement était assez bruyant pour me déconcentrer. D’un oeil morne, j’abandonnais mon livre pour me laisser à observer le binôme. Gontag était plus grand que Maman, ce qui était un exploit. Son regard d’azur ne quittait pas la femme qui lui faisait face. L’oeil critique, je l’observais : je n’aimais pas son allure décontractée, je n’aimais pas son sourire brillant, ni sa barbe qui n’allait pas avec son crâne dégarni -que je n’aimais d’ailleurs pas - et le dossier qu’il tenait à la main. Reniflant sarcastiquement à l’une de ses remarques qui fit rire Maman, je jugeais que l’homme était grandement moins beau que ne l’était Papa. Cette réflexion me fit sourire, et sans que je ne sache comment cela arriva, ma plume s’échappa soudainement de mes mains. Elle tomba sur le sol dans un bruit mat et je me jetais sur elle pour la ramasser. Le choc avait éclaboussé le parquet de tâches d’encre noire brillantes, mais je les ignorais, paniquée à l’idée de m’être fait remarqué. Culpabilisant, comme si je me trouvais dans un endroit où je n’avais pas ma place, je levais des yeux réticents sur Maman et Gontag.

Les deux adultes me regardaient d’un regard surpris. J’échappais au regard de l’homme en regardant Maman. Je me plongeais avec plaisir dans ses yeux. J’étais proche d’elle en ce qui concernait l’apprentissage et le savoir, sur cela nous nous ressemblions. Mais, lorsque dans son regard, je remarquais la lueur réprobatrice qu’elle me destinait, je fis un effort immense pour ne pas froncer les sourcils et lui montrer mon mécontentement. Qu’avait-elle à me regarder ainsi ? C’était elle qui venait me déranger, si ma présence l’indisposait je pouvais m’en aller ! Ravalant mes paroles acerbes, j’eu la présence d’esprit de paraître aussi gêné que Gontag. Je baissais le regard à contrecœur, en profitant ainsi pour rendre mon visage lisse de tout agacement.


- Aelle, sourit Maman, semblant finalement de bonne humeur.

Je levais la tête vers elle en sentant peser sur moi son regard. Je ne dis rien, me contentant d’esquisser un sourire d’excuse en agitant ma plume devant moi. Je me sentais mal sous le regard des deux adultes. Je voulais quitter la pièce pour retrouver à la sécurité de ma chambre, mais je savais que Maman n’apprécierait pas. Pourtant, je n’avais plus envie de la voir. La solitude m’appelait étrangement ces derniers temps, m’éloignant même de ma famille. J’échappais à ses yeux si semblable aux miens pour regarder au travers la fenêtre, espérant ardemment que les deux médicomages m’ignorent pour retourner à leur activité.

- Nous étions en train de clôturer le dossier sur l’homme à la bombabouse, continua la femme.

Une fois encore, je résistais à lever les yeux au ciel. Elle agitait le dossier en question devant moi sous le sourire de Gontag. Bien sûr, elle devait lui avoir parler de mon intérêt pour leur patient. Je n’aimais pourtant pas le sourire complice dont m’affubla l’homme. Comme s’il me connaissait suffisamment pour l’être avec moi ! De mauvaise foi, j’offris un sourire poli aux adultes, alors qu’en mon fort intérieur j’aurais tout donné pour lire ce dossier. Les bombabouses avaient une certaines importance, dorénavant. Mais sans réelle raison, je ne voulais pas faire plaisir à Maman en me montrant excité par ce qu’elle disait. Leur présence m’irritait. Je sentais le malaise prendre place dans la pièce auparavant si chaleureuse, et un regard vers Maman et Gontag me fit prendre conscience qu’il venait de moi. Si je ne répondais rien, Maman viendrait me chercher les noises. Je pris une grande respiration destinée à faire mourir ma frustration :

- Je peux le lire ? tentais-je alors de demander. Le rire de Gontag me fit frissonner.
- Tu sais bien que non, Aelle, me dit Maman d’un ton affecté, comme si j’étais un patient récalcitrant.
- J’aurais essayé, au moins.

J’offris à Maman un grand sourire joyeux puis je m’empressais de tourner la tête, de peur qu’elle ne remarque la lueur de colère dans mes yeux. Heureusement, elle ne remarqua rien. Elle était trop occupée à rire avec Gontag de “l’engouement de sa jeune fille pour les choses étranges”. Mais aujourd’hui, le fait que Maman soit complice de mon intérêt pour les choses dangereuses ne me fit pas rire. Ma main qui reposait sur le dossier du fauteuil se crispait sur le tissu couleur marron, dans une tentative d’apaiser mon agacement. La voix de l’homme sonnait désagréablement à mes oreilles, et je n’avais qu’une envie : qu’il s’en aille. Maman était différente lorsqu’elle était avec lui. Elle me regardait alors comme une enfant dont il fallait calmer les ardeurs, elle ne parlait que de son travail et ne prenait pas en compte le fait que nous n’avions pas envie qu’elle ramène son travail à la maison. Et Gontag était son travail. Je jetais un regard noir à l’homme au crâne rasé, le mitraillant de mes orbes noirs. Un instant durant, je me pris au jeu de fusiller chaque partie de son corps, imaginant qu’un trou béant l’atteignait jusqu’au point de le faire disparaître.

- Je vais y aller, Arya. Je te laisse avec ta famille, dit l’homme.

Son mal-être aurait pu m’attendrir mais ce ne fut pas le cas. Il finissait toujours par l’être, cela devenait une habitude de le voir ainsi. Je sourit méchamment en le regardant de biais, tout en surveillant que les deux adultes ne me voyaient pas. Je me fis la réflexion que j’étais heureuse que ma famille ne me connaisse pas aussi méchante. Quelle serait leur réaction ? D’un oeil morne, je regardais Maman poser une main sur l’épaule de Gontag pour le saluer. Pourquoi m’agacait-il autant ? J’avais toujours apprécié l’homme. Mais son départ futur m’apaisa quelque peu et je souris à Maman lorsqu’elle me regarda.
Je les suivais du regard lorsqu’ils s’éloignèrent pour s’approcher de la porte d’entrée. Me sentant soudainement mieux, je portais à nouveau mon attention sur mon livre, heureuse de retourner à mon apprentissage. Un instant plus tard, la voix douce de Gontag s’éleva dans mon dos :

- Au revoir, Aelle. Travaille bien.

Malgré la gentillesse suintant dans sa voix, je ne me retournais pas ni ne lui répondit. Je crispais la mâchoire sans quitter ma page du regard. Ne pouvait-il pas se contenter de partir ? Dans le silence intense de la pièce qui attendait ma réponse, mon souffle semblait incroyablement fort à mes oreilles. Je fermais les yeux un instant, priant Merlin que les deux sorciers disparaissent. Je n’avais pas envie de lui répondre, sous peine de voir s’échapper de ma bouche une myriade de parole coloré. Je sentis, tant dans mon cœur que sur mon corps, mon visage se transformer en une grimace agacée. Comme une spectatrice, je regardais de l’extérieur les coins de ma bouche s'affaisser vers le bas pour montrer mon mécontentement, mes sourcils se froncer et mes doigts se crisper sur les pages de mon livre.

- Aelle ? La voix de Maman résonna dans le creux de mes oreilles. Tu as entendu ?

Qu’elle était dure, sa voix. Elle me donnait envie de vomir. Depuis quand ne m’avait-elle pas parlé sur ce ton ? Maman nous considérait tous comme responsable malgré notre âge, c’était Papa qui nous grondait habituellement. Elle, elle semblait loin de tout cela. Pourtant aujourd’hui, c’est elle qui agissait ainsi que j’avais toujours vu Papa le faire. C’est certain qu’avec lui je n’aurais pas réagit ainsi. Mais je n’arrivais pas à me contrôler, j’essayais d’ouvrir la bouche pour sortir un “au revoir” poli, comme je savais si bien le faire, mais impossible de dire ne serait-ce qu’un mot. Des mots de toutes sortes s’affichaient dans mon esprit, n’attentant que de s’échapper pour venir frapper l’homme et la femme. Je voulais me lever pour crier, leur montrer ma mauvaise humeur et leur dire qu’ils m’agaçaient, que Gontag n’avait rien à faire ici !
Je respirais doucement, me sentant soudainement tremblante. Je n’étais jamais en colère à la maison, je savais toujours gérer cela. Que se passait-il ?

- Aelle !

L’éclat de voix soudain de Maman me fit sursauter. Le cœur battant, je restais sans bouger. Plus les secondes s’écoulaient, plus j’avais conscience de mon comportement. Les choses s’aggravaient, mais une part de moi, la plus curieuse, attendait de voir ce qui allait se passer.

- Laisse Arya, dit Gontag d’une voix hésitante. Elle est occupée, ce n’est pas important.

Sa réaction me fit sourire froidement, et je sentis ma colère enfler plus encore. Il me défendait. Voir qu’il était encore capable de faire cela lorsque Maman s’énervait me fit souhaiter plus encore qu’il s’en aille.

- Non, Gontag. Je ne l’ai pas élevée comme cela. Elle te dira au revoir.

Croyait-elle que je ne l’entendais pas ? Je reniflais par le nez tout en feignant d’être absorbée par ma lecture. J’essayais d’ignorer les battements trop rapides de mon cœur, et la crainte des conséquences de mon comportement inédit. Des pas résonnèrent derrière mon dos, et je craignis un instant que Maman ne se décide à me punir comme un petit enfant. Je poussais un cri aigu quand, soudainement, le siège sur lequel j’étais assise glissa sur le parquet du salon. Le mouvement soudain me désorienta tellement que je m’accrochais aux accoudoirs, fermant les yeux lorsque ma vision se troubla. Lorsque je soulevais mes paupières, je me trouvais face à l’autre partie du salon. Maman me regardait avec un visage froid et colérique. Ses yeux bruns brillaient de colère, et je regrettais soudainement mon comportement. Pourquoi avais-je réagi ainsi ? Derrière elle, je vis Gontag qui semblait extrêmement mal à l’aise d’être le responsable de la scène qui se déroulait devant lui. Je n’eu pas le temps de me réjouir de ce fait que Maman m’attrapait par l’épaule pour me lever.

- Lâche-moi ! criais-je, lorsque impuissante, je vis mon livre s’écraser sur le sol dans un bruissement de pages.

Sans que je ne comprenne comment, je me retrouvais traîné à l’autre bout de la pièce par Maman. Ses doigts fins étaient enfoncés dans mon épaule et la douleur me fit monter les larmes aux yeux. Peut-être était-ce aussi sous le coup de la colère frustrante que je ressentais. Une odeur flottait près de moi. Le parfum de Maman ; un mélange de fleur et de la mer. L’idée que je me faisais de la mer que je ne connaissais pas, une odeur amère et salée, qui piquaient légèrement le nez mais qui en temps normal me réchauffait. Maman m’amena à Gontag devant lequel elle me secoua avant de me lâcher. Je reniflais pitoyablement, m’éloignant d’elle en massant mon épaule, la dardant d’un regard noir. Honteuse, mes joues se firent toutes rouges. Je ressentais le besoin urgent de crier et de frapper dans quelque chose. Je respirais difficilement, luttant pour empêcher les larmes de couler. Ma colère était un poison dans mes veines. Maman me regardait et j’avais l’impression qu’elle ne voyait qu’une enfant en pleine crise d’hystérie. J’avais envie de lui crier qu’elle ne comprenait rien ! Menaçante, elle s’approcha de moi et je baissais les yeux sous la force de son regard. Je m’éloignais encore.

- Regarde-moi, dit-elle d’une voix effrayante. Je ne la regardais pas. J’étais soudainement effrayé de lui faire face. Aelle.

Cela sonnait comme une ultime menace. Je sentais son regard me perforer de part en part, et des frissons recouvrirent ma nuque. La force de sa menace eu raison de moi, et c’est un regard révolté que je posais sur elle. Je ne m’attendais pas à la voir si proche de moi. Malgré moi, je levais la tête pour la regarder dans les yeux, tremblant légèrement en la voyant si énervée.

- Excuse-toi, Aelle. Gontag n’a pas à supporter ta mauvaise humeur et ton impolitesse. Tout de suite ! s’écria-t-elle lorsqu’elle remarqua que je ne bougeais pas.

Effrayée, je tournais mon regard vers son collègue. Celui-ci me regardait d’un air contrit, et cela se voyait comme un Botruc sur un mur qu’il souhaitait être ailleurs. Pourtout, tout cela était de sa faute et l’avoir sous les yeux raviva ma colère. *Espèce de bouse de veracrasse*, pensais-je en regardant son sourire. Je lançais un regard à Maman lorsqu’elle émit un signe d’avertissement. J’ouvrais la bouche, trouvant particulièrement injuste que Maman m’oblige à dire des mots que je ne pensais pas.

- Pardon…, marmonnais-je faiblement en regardant l’homme avec un regard noir.

Je me retenais à grande peine de cracher le fond de ma pensée. La seule chose qui m’empêchait de le faire était le fait que ma famille serait déjà bien assez étonnée du comportement que je venais d’avoir. Je devais m’arrêter là, c’était essentiel si je ne souhaitais pas un interrogatoire en règle par tous les membres de ma famille. Je savais déjà devoir supporter les questionnements de Papa et Maman le soir au dîner. Je voyais les regards surpris de Natanaël et Zakary, celui soucieux de Narym et l’inquiétude pesante d’hypocrisie et de sous entendu dans la voix de cet abruti de Aodren.
Tournant légèrement le dos à Maman, je défiais du regard Gontag de dire quoi-que ce soit. L’homme ne paru pas comprendre mon avertissement, ou alors il s’en fichait, car il me sourit soudainement et dit :


- Je ne t’en veux pas, Aelle. Arya, merci, mais tout va bien, je t’assure.
- Dit-lui au revoir, jeune fille, dit Maman en ignorant les efforts de son collègue pour la détourner de moi.

Je me foutais éperdument qu’il ne m’en veuille pas. Il savait que je ne pensais aucun mot de ce que je disais. Je failli m’écrier : ”j’en ai assez fait, tu ne crois pas ?” à Maman, mais je me retiens au dernier moment. Je pris une grande respiration pour me calmer puis dis d’une voix éteinte :

- Au revoir, Gontag. S’il prenait le droit de m’appeler par mon prénom, je ne me gênerais pas pour faire de même.
- Maintenant, monte dans ta chambre. Si tu n’es pas d’humeur, aies au moins la politesse de ne pas nous la faire supporter.

Ah, elle me congédiait dans ma chambre, maintenant. Je revoyais Aodren partir en bougonnant dans sa chambre après avoir fait une bêtise. N’étais-je donc pas différente, aux yeux de Maman ? Je la regardais, me sentant étrangement trahi. Maman m’avait toujours considéré comme étant trop mature pour me punir. Pourquoi changeait-elle maintenant ? M’éloignant doucement, je lançais un regard accusateur à Gontag. S’il n’avait pas été là, Maman m’aurait jamais punis comme une gamine. Comme si elle savait ce que je pensais, elle me dit froidement :

- Ne t’attend pas à ce que je te considère comme une grande si tu agis comme une enfant, Aelle. Maintenant, va.

Soufflée par sa remarque, je leur tournais le dos et m’élancais dans les escaliers en courant. J’avais juste l’envie de disparaître. De rage, j’essuyais une larme qui me trahis en s’échappant de mon oeil. Je n’allais pas pleurer pour cela. Dans la Tour, je ne pris même pas le temps de compter les marches et de regarder les livres, comme je l’avais toujours fait. Je montais le plus vite possible, sachant que nos éclats de voix auront inquiétés Aodren et Natanaël qui étaient dans leurs chambres. Je devais arriver dans la mienne avant de les croiser. Arrivée au second étage, je n'entendais aucun bruit dans le couloir qui menait à leurs antres. Ils n’avaient pas entendu. Je m’approchais de l'échelle qui reposait contre le mur et, sans prendre le temps de retrouver mon souffle, je gravis les barreaux de bois.

Une fois seule, j’arpentais le sol de ma chambre de long en large. J’avais du mal à retrouver une respiration, mais il m’était impossible de me calmer. La réaction de Maman me mettait hors de moi, je me sentais moins importante que le premier gnome venu. *Elle est hypocrite*, pensais-je avec hargne.

- “Je peux pas te considérer comme une grande si t’agis comme une enfant, Aelle”, mimais-je méchamment. Oui, et bien moi je peux pas te considérer comme ma mère si tu renie ta propre FILLE !

Je criais ce dernier mot en donnant un grand coup de pied dans mon sac qui trainait sur le sol. L’objet en question s’envola contre les airs pour aller s’écraser plus loin. Le geste ne m’avait pas défoulé, mais il me faisait du bien. Répondant à une envie que je connaissais depuis peu, je m’approchais du sac que j’attrapais et d’un geste brusque je le lançais sur le mur opposé en criant : “Tu ne comprends rien !”. La colère coulait dans mes veines, je sentais le léger tremblement dans chacun de mes membres. Une envie, sourde, de balancer mon poing dans un quelconque objet me prenait à la gorge et me faisait suffoquer. Lamentablement, je résistais à cette pulsion en me laissant tomber sur le sol près de mon lit. Le plancher était tiède. Je ramenais mes jambes contre ma poitrine et j'enfonçais mon menton entre mes genoux. Lorsque je fus certaine que ma voix serait étouffée, je poussais un grand cri destiné à laisser s’échapper ma frustration. La gorge en feu, je fermais les yeux fort, bien décidé à ne laisser aucune larme couler sur mes joues.

Quelque instant plus tard, je me levais. Sur mon lit, j’attrapais la peluche Calmar que m’avait offert Narym et je la serrais contre moi. Je me sentais profondément gamine en agissant ainsi, mais je ne bougeais pas. Ainsi immobile au milieu de ma chambre, j’avais la sensation que je pouvais m’oublier, m’oublier jusqu’à ne plus ressentir cette douleur dans mon coeur.

Clignant des yeux, je remarquais que mon regard s’était fixé sur un point bien précis de ma chambre. Le coeur lourd, je tournais la tête pour ne plus voir cette bombabouse qui reposait sur la plus haute étagère de ma bibliothèque. Je me demandais encore ce qu’il m’avait pris de la poser ainsi, là où je pourrais la voir à chaque instant. J’avais pris la mauvaise habitude de laisser mon regard se perdre en elle, lorsque je m’endormais dans l’atmosphère lunaire de ma chambre. Et inlassablement, mes cauchemars lacéraient mes nuits de leurs griffes froides. Regarder cet objet me ramenait à cette nuit onis que je souhaitais oublier. Le souvenir était cuisant, et penser à Elle me faisait toujours aussi mal. Ses yeux émeraudes brillaient dans mon esprit. Deux piques qui s'enfonçaient dans mon coeur. Le ressentiment fut instantané. Mon visage se transforma en une grimace colérique tandis que mes yeux se remplissaient de larmes. Cette fois-ci, je ne fis rien pour les retenir.


- Je te déteste !

La colère était douloureuse. Ces mots aussi. Je voyais la jeune Gryffondor me narguer de son audace. Je ne voulais plus la voir, il fallait que ces apparitions cesse. Je voulais l’oublier. Tout irait mieux si elle n’avait jamais été là. La vision trouble, je balançais mon bras qui tenait Calmar vers l’arrière, et d’un geste hargneux je lançais la peluche de toute mes forces sur le meuble. J’aurais souhaité avoir la force de prendre cette bombabouse et les lettres qui trônaient près d’elle, et de les balancer. M’en débarrasser, car ces objets ne se destinaient qu’à me torturer, inlassablement depuis des mois durant. Avec une joie malsaine, je regardais Calmar voler au travers la pièce, comme l’avait fait mon sac, pour aller s’écraser contre ma bibliothèque qui trembla sous le choc. Il y eu un instant de flottement avant que la bombabouse ne roule subtilement et ne tombe dans le vide. Je la regardais tomber comme au ralenti, et mon cri effrayé n’eu pas le temps de s’échapper de ma bouche que l’objet frappa le sol.

J’avais fermé les yeux. La peur au ventre, j’attendais l’explosion qui ne tarderait pas à venir suivi de l’odeur nauséabonde. Mais je n’avais pas peur du bruit ou de l’odeur. Dans mon esprit, ne régnait que le visage d’Elle. Et elle me regardait avec des yeux si tristes que je cessais de respirer. Pourtant, rien ne vient. Pas d’explosion. Pas d’odeur. Il n’y avait que mon coeur qui tambourinait contre ma poitrine. Hésitante, j’ouvrais les yeux. A petits pas, je m’approchais de la scène du délit, poussant Calmar du bout des pieds pour observer mon erreur. La bombabouse était sauve.
Le soulagement que je ressentais soudainement était libérateur. Sans penser à quoi que ce soit d’autre, je me penchais pour récupérer la bombabouse que je tenais précieusement dans mes mains. Je fermais les yeux. Ainsi, j’avais l’impression qu’Elle se tenait devant moi. Oui, elle était là; et ses mains était dans les miennes. Nous ne nous regardions pas, mais nous nous ressentions. Il n’y avait rien de plus beau. Le sourire sur les lèvres, ignorant ma conscience qui me prévenait de ma folie, je me laissais aller à la sensation d’elle près de moi. J'imaginais son odeur, une odeur qu’on ne pouvait qualifier ni d’agréable ni de désagréable. Et je sentais sa chaleur. Pourtant je détestais tout contact. Mais ce n’était pas important, ici. Ici, c’était elle. Et nous n’avions pas besoin de mots. Sans ne rien dire, nous partagions bien plus que nous ne le ferions avec des phrases.

J’ouvrais les yeux brusquement, laissant ma vision m’échapper. La réalité me frappait doucement, claire, sereine, comme une voix qui s’adressait à moi pour me remettre sur le droit chemin
: *Ce moment est arrivé, mais c’est toi qui l’a fuit, Ely*. Oui. Oui. L’état de ma relation actuelle avec la Gryffondor me rattrapa alors, et comme si elle me brûlait, je posais la bombabouse à sa place sur la bibliothèque. La gorge étrangement nouée, je m’éloignais. Parfois j’oubliais. J’oubliais que j’étais la seule responsable de ma solitude, et de son éloignement. Elle avait raison de ne plus souhaiter ma présence. Je l’avais détruite, j’avais ressorti ce qu’il y avait de plus moche en elle au moment même où je le faisais chez moi. Elle avait fait ce que mon égoïsme m’empêchait de faire, elle m’avait oublié.
Je me postais devant la fenêtre. Je me sentais lasse. J’étais chez moi, pourtant j’avais la sensation de ne pas être là où je souhaitais l’être. D’un geste éteint, je me frottais les joues pour effacer toutes traces de tristesse. Je ne pouvais plus. Lorsque je me sentais assez forte pour penser sans pleurer, je me rappelais mes rencontres avec elle. Je les analysais, et j’essayais de comprendre ce qui faisait que je m’étais attachée à elle. Il y avait des fois où je la détestais, d’autre où j’avais la sensation unique de tenir plus à elle qu’à n’importe qui. Cela me faisait peur. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi ainsi ? Pourquoi c’était si fort ? Et si ce n’était pas normal ? J’avais peur d’être prise d’une quelconque folie. Les moldus avaient un nom pour ça, mais je ne le connaissais pas. Étais-je en train de devenir folle ?
*Peut-être que je devrais en parler à Papa ou Maman…*, pensais-je dans le fol espoir qu’ils puissent me sauver. Puis soudainement, je me rappelais que je venais de me disputer avec Maman.

Je soupirais en regardant par la vitre de ma fenêtre. Au loin, je pouvais apercevoir la forêt qui bordait le domaine. Ressentant le soudain besoin d’errer librement et de ne plus penser, je me détournais de la vitre. J’attrapais une lourde cape d’hiver et sans prendre le temps de réfléchir, je quittais ma chambre.
Presqu’en courant, je descendais une nouvelle fois la flopée de marches. Arrivant près du salon, je ralentissais. Je n’entendais plus aucun bruit. Gontag était enfin parti, et Maman devait s’occuper d’une quelconque manière. J’espérais qu’elle soit descendu dans son laboratoire. A pas feutré, je m’avançais dans la pièce. Un coup d’oeil vers la cuisine me rassura quant à l’absence de Maman. Je regardais mon objectif : la grande porte d’entrée qui faisait face aux escaliers, entre la cuisine et le salon. Je pouvais y arriver. Une fois dehors, je pourrais courir vers la forêt et enfin être seule.

Mais, alors que j’atteignais le grand panneau de bois, un bruit dans mon dos me fit sursauter. Le coeur battant, je me retournais. J’étais tant persuadée de tomber sur la face colérique de Maman, que je restais bouche bée en m’apercevant qu’il s’agissait de mon frère. Aodren, semblant joyeux, croquait dans une pomme en me regardant.


- Qu’est-ce que tu fais ? me demanda -t-il, et je résistais à l’envie de lui dire de s’en aller. Ou de partir sans lui répondre.
- Je sors, répondis-je simplement.

Étrangement mal à l’aise, je regardais le garçon qui me faisait face. Son visage juvénile semblait être fait pour briller constamment de joie. Ses yeux vert me regardait, j’avais l’impression qu’il me jugeait. Mais je savais être de mauvaise foi. Depuis quand me sentais-je mal avec lui ? Le coeur lourd, alors que je ne souhaitais pourtant pas être en présence de ce frère qui réveillait tant de chose en moi, je lui retournais sa question :

- Et toi ?
- Je mange, sourit-il.
- Ah.

Je ne trouvais rien de mieux à répondre. Je ne savais plus que dire en sa présence. Il avait vu tant de chose de moi. Il en avait entendu des plus étranges encore. J’avais peur de sa présence, il finissait toujours par me parler de Poudlard, de mon comportement si différent de la maison lorsque j’étais dans le château. Je ne pouvais pas supporter cela aujourd’hui, j’avais la sensation que je ne parviendrais pas à me contrôler. Les vacances avaient pourtant bien commencé, j’étais parvenu à lui faire face des jours durant, alors qu’inlassablement il sous-entendait mon mauvais comportement, mes différences et mes mensonges. Je lui grimaçait un sourire puis me retournais, bien décidé à rejoindre la forêt.

- Tu ne devrais pas sortir seule, tu sais.

Je soupirais.

- Je suis assez grande pour sortir seule, tu ne crois pas ? lui dis-je calmement sans me retourner.
- Peut-être, mais la forêt peut-être dangereuse.
- Aodren, on a passé notre enfance là-bas. Je me retournais pour le regarder. Il me souriait.
- On ne sortait pas tout seul, petite soeur, me dit-il d’un air affecté. Je le fixais sans comprendre. S’inquiétait-il pour moi ou souhaitait-il seulement m’agacer ?
- J’ai douze ans, c’est bon. Ne t’en fait pas, réussis-je à rajouter.
- Si je m’en fais, Ely…, chuchota-t-il.

Je compris parfaitement que ces derniers mots ne concernaient pas seulement la forêt. Je baissais les yeux pour ne pas qu’il voit l’agacement briller dans mon regard. Il ne me laisserait pas en paix avec Poudlard. J’haussais les épaules, puis rapidement je me détournais de lui et m’approchait de la porte.

- Ao’, tu ne devais pas trava… Que fais-tu, Aelle ?

J’eu crié de frustration si je l’avais pu. Affichant un air contrit sur mon visage, je me tournais vers Maman qui venait d’arriver. Elle se tenait près de mon frère - qui me regardait toujours en grignotant son fruit - les bras chargés d’ingrédients de tout genre qui attirèrent mon regard. Cela m'évitait de regarder ses yeux, qui devait briller de la même lueur réprobatrice de tout à l’heure. Je devinais aisément qu’elle n’avait pas envie de me voir pour le moment.

- Je... , *Pourquoi je peux jamais être tranquille ?*. J’avais envie de prendre l’air, Maman. Ça fait longtemps que je ne suis pas allé dans notre forêt…

J’avais pris une voix douce et hésitante, bien qu’en mon fort intérieur je rêvais de lui dire de me laisser en paix. Je priais la Magie qu’elle me permette de sortir.

- Très bien. Je levais la tête avec précipitation, souriant largement. Aodren la regardait d’un air surpris, et je me retiens de ricaner. Maman continua : Mais tu ne sors pas toute seule.

Renversement de situation. Aodren se permit de ricaner en arguant qu’il avait raison, sans que Maman ne lui dise rien, et moi je la regardais avec surprise. Je me forcais à prendre une voix surprise :

- Quoi ? Mais Maman, je suis grande, je peux y aller toute seule. Puis, craignant qu’elle l’ai oubliée je dis : j’ai douze ans.

La scène me laissait un goût amer dans la bouche. A Poudlard, je pouvais aller partout sans demander l’avis d’un adulte. Je me promenais dans le parc des heures durant, je pouvais passer des repas et même rester dans ma chambre tout le week-end si je le souhaitais. Et maintenant revenue à la maison, on ne m’autorisait pas à sortir dans une forêt que je connaissais de long en large ? L’idée de supporter la présence de mon frère m’enlevait l’envie de prendre l’air.

- J’avais envie de sortir, justement ! s’écria Aodren en me regardant avec espoir.
- Je… Non, je voulais lire et étudier…
- Quoi, mais tu étudies tout le temps, Ely ! s'offusqua mon frère.
- Oui, et je compte bien…, commençais-je en oubliant la présence de Maman.
- Je ne vous demande pas votre avis, intervient Maman. Si vous voulez sortir, c’est tous les deux. Sinon vous restez à la maison. Aelle, ton frère veut passer du temps avec toi, je sais que tu veux étudier mais laisse toi du temps pour la famille.

Je supportais sans mal ses prunelles noisette. *Elle se fout de moi ? Elle s’en laisse du temps pour la famille, elle ?*. Une fois encore, mon ressentiment à son égard me surprit. Pourquoi ne comprenait-elle pas que je souhaitais être seule ? Je me fichais du fait qu’Aodren veuille passer du temps avec moi. Si la scène s’était passé sur les terres de Poudlard, je n’aurais pas cherché à convaincre Maman et Aodren. Je serais partie sans demander mon reste, et face à la moindre résistance je me serais énervée. Je fermais les yeux un instant, l’écart de mon comportement entre la maison et l’école m'étais soudainement flagrant. Mais ici je ne pouvais agir naturellement.

- Je vais chercher ma cape ! s’écria soudainement mon frère. Sans un geste, je le regardais s’élancer dans les escaliers pour monter à sa chambre.
- Il est content de t’accompagner.

Je regardais Maman. Je savais ce qu’elle pensait, elle croyait à tort que je lui ressemblais : elle se disait que je souhaitais être seule pour étudier, encore et encore. Dans un sens elle n’avait pas tort. Mais parfois j’avais envie de lui dire les choses comme elles l’étaient : “non Maman, tu as tort. Accepte que ta fille ne supporte pas son frère et qu’elle ne veuille plus passer de temps avec lui”. Soudainement, je me rappelais de mon altercation avec Léon Nebor, cette nuit-là à Poudlard. Que dirait Maman en voyant cette jeune fille dont la colère avait été assez forte pour libérer de la magie accidentelle, blessant un garçon de douze ans ? Que dirait-elle en me voyant réagir si véhément à la moindre de mes interactions sociales ? Je me demandais ce qu’elle voyait en me regardant.

- Je sais, M’man, chuchotais-je.
- Tu vas bien ? me dit-elle.
- Oui, répondis-je au tac au tac, surprise qu’elle ne soit plus en colère contre moi.
- Je souhaite seulement que mes enfants soient poli, Ely. Je baissais les yeux, agacée qu’elle remette le sujet sur le tapis. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

J’avais pris l’habitude d’être celle qui échappait aux questions de mes parents. Ces questions qu’ils nous posaient lorsque l’on faisait une chose différente, que l’on s’énervait ou que l’on était triste. Ils souhaitaient sans cesse être rassuré quant à ce que nous ressentions. Heureusement pour moi, Aodren débarqua à cet instant précis. Il sauta les dernières marches sous mon regard, il semblait heureux. Maman, elle, me regardait encore.

- Rien Maman, je crois que je suis fatiguée, avouais-je à mi-voix.
- Tes cauchemars reprennent ? s’inquiéta-t-elle. Aodren me regardait d’un air soucieux.
- Non Maman. Je devais à tout pris lui faire oublier ça, je ne voulais pas lui dire qu’elle avait raison. J’avais la tête rempli de formules, j’ai étudié hier soir.
- C’est bien d’étudier mais fait attention à toi, jeune fille. J’instaurerais un couvre feu si tu ne te gères pas.
- Ne t’en fait pas Maman, ça ne m’arrive pas souvent, mentais-je habillement en efforçant de me libérer de son inquiétude. Je ne me coucherais plus aussi tard !

C’est avec grande difficulté que je rajoutais un sourire motivé. Elle sembla croire ce que je disais, car elle me sourit aussi. Malgré cela, j’étais persuadé que Papa aurait un résumé complet de la journée.

- Bon, on y va ? intervient Aodren, impatient.
- Bien. Faites attention, les enfants.

Maman s’échappa vers son laboratoire après un dernier regard, et Aodren passa devant moi en babillant joyeusement. En soupirant, je le suivais.
19 mai 2017, 08:46
 Angleterre  Le gouffre de l’Insensée  Solo 
- IV -



23 Décembre 2041
Forêt - Domaine des Bristyle
Vacances scolaire de Noël



Une fois dehors, nous marchâmes lentement en direction de la forêt. Nous contournions la maison et dépassions notre jardin. Le froid était mordant, mais il me faisait du bien. Près de moi, Aodren marchait avec entrain. Du coin de l’oeil, je l’observais prendre une grande goulée d’air frais ; peut-être qu’il souhaitait réellement sortir et qu’il n’avait pas fait cela pour m’ennuyer. Comme s’il sentait mon regard sur lui, il se tourna vers moi et me sourit gentiment. Un instant durant, j’eu l’impression de retrouver mon grand frère. Celui qui prenait soin de moi, et non celui qui passait son temps à sous entendre que je n’étais pas celle que l’on pensait que j’étais. Je lui rendis son sourire.

- Qu’est-ce qu’elle te voulait, Maman ? Sa voix était hésitante, comme s’il ne savait pas comment agir avec moi.
- Rien, dis-je. Puis, le voyant ouvrir la bouche, je rajoutais : je lisais, et elle est arrivée. J’hésitais à lui en dire plus. Elle s’est énervée.
- Je comprends, me dit-il et je le regardais avec une surprise non feinte.
- Vraiment ?
- Bah oui, parfois tu es tellement prise par tes lectures que tu oublies le monde autour de toi.

Je ne dis rien, me contentant de marcher à ses côtés. Je ne pensais pas qu’il pourrait comprendre l’effet que la lecture avait sur mon esprit. Savait-il aussi que cela me permettait d’éviter de penser à certaines choses ? Il ne rajouta rien.

Lorsque nous passions sous le couvert des bois, l’air se fit plus frais encore. Je serrais les pans de ma cape autour de mon corps. Je ne parlais pas car j’avais peur qu’il ne se décide à me parler de choses désagréables. Je me sentais lasse. Depuis le début des vacances, je surveillais sans cesse mon comportement et mes paroles. Aller à Poudlard et agir là-bas sans chercher à me contrôler ou à faire attention aux autres m’avaient fait prendre conscience qu’à la maison je réfléchissais avant chacune de mes actions. C’était fatiguant. Je n’arrivais pas à faire autrement. J’avais l’impression désagréable de changer et que je n’avais aucun contrôle sur cela.


- On arrive, dit soudain Aodren.

Je levais la tête pour regarder autour de moi. Nous avions laissé la maison derrière nous et à présent, les arbres nous entouraient. De grands frênes, des boulots et des pins. Une forêt fournie dont le toit de verdure laissait passer quelques maigres rayons de soleil. Aodren nous avait mené dans une clairière assez étroite pour rester sous le couvert des arbres. Des rochers habituellement couvert de mousse mais aujourd’hui enterrés sous une épaisse couche de neige trônaient là. Des traces récentes salissaient le sol neigeux, et je compris facilement que l’un de mes frères étaient venu ici récemment. *Sans moi*, pensais-je égoïstement, le cœur lourd. Cette clairière était l’endroit où nous venions toujours, mes quatre frères et moi. Nous passions des heures ici à jouer, construire des cabanes, regarder les grands utiliser leur magie, ou tout simplement pour discuter. Le fait qu’Ao’ m’amène ici me réchauffait étrangement le cœur ; il m’aimait encore.
Il se rapprocha d’un rocher qu’il débarrassa de la neige et se hissa au sommet. Je le regardais faire, une sensation étrange dans le corps. Mon cœur faisait des sauts dans ma poitrine, j’avais sorti ma baguette et je jouais avec. J’étais nerveuse.


- Cet endroit me manque, lorsque je suis à Poudlard.

Je lançais un regard à Aodren ; il regardait autour de lui, nostalgique d’un temps où nos escapades étaient quotidiennes.

- Moi aussi... , avouais-je à mi-voix.

Je ne mentais pas, mais j’avais la sensation de cacher une vérité. Les temps avec mes frères m’avaient manqués, les premières semaines au château, mais cela était-il toujours le cas ? Les mois de novembre et décembre avait été si rapides que je ne me souvenais guère de m’être sentis nostalgique d’ici. D’autres choses emplissaient alors mon esprit.

Un regard vers Aodren me rassura quant à ses éventuelles questions ; le regard plongé dans le ciel bleu, il ne semblait ni se soucier ni de moi, ni de ses vêtements qui baignaient dans la neige.
Lentement, je m'avançais vers l’endroit de la clairière où je savais trouver une souche d’arbre, et m’assis sur elle une fois l’avoir nettoyée de sa neige.


Nous restâmes longuement ainsi. Je papillonnais des yeux pour les habituer à l’éclat de l’hiver ; je ne me souvenais pas les avoir fermés. Le jour avait décliné, mais je savais qu’il nous restait assez de temps pour profiter des bois. Je me levais difficilement, engourdie par mon immobilité. Aodren n’avait pas bougé ; je craignais qu’il se soit endormi. Cela ne serait pas raisonnable à cette saison.

Je regardais autour de moi. La clairière semblait irréelle sous le pâle éclat de la lumière hivernale. A petit pas, je m’avancais vers le centre, m’éloignant ainsi d’Ao’. Mes pas crissaient dans la neige, c’était agréable. C’était comme une douce mélodie à mes oreilles. Sentant l’excitation venir, je sautillais. Sous mes pieds, les flocons blanc s’applatissaient et se mélangeaient à la terre. La couche de neige n’était pas épaisse. Je me voyais comme un géant qui sautait sur le toit du monde pour le briser. Est-ce que cela signifierait notre fin ? Peu m’importait combien l’idée pouvait être effrayante, j’aurais aimé connaître la réponse. Je sautillais de long en large dans la clairière, me sentant l’âme du Géant dominant le Monde, laissant derrière moi mes problèmes pour jouer comme je l’aurais fait il y a de cela quelques mois. J’eu la soudaine envie de rire, de laisser ma voix s’échapper sous le couvert des arbres.

- Qu’est-ce que tu fous, Ely ?

Je me tournais précipitamment vers la voix. Sous la vitesse de mon mouvement, mon pied dérapa dans la neige boueuse que mes sauts avaient créés et je m’affalais sur le sol froid de la clairière. En un rien de temps, l’humidité traversa ma cape et je grelottais de froid. Les mains pleines de boues, je me relevais doucement en positions assise. Je tombais sur les yeux de mon frère qui, éberlué, me regardait sans réagir. Mais soudainement, comme si mon regard avait créé quelque chose chez lui, il ouvrit grand la bouche pour faire résonner son rire. Je grimacais en le regardant. Sa voix grasse d’adolescent n’avait aucune grâce, il riait fort et inutilement.

- Si le géant avait traversé le toit, tu ne rirais pas comme ça, crétin…

Son rire s’intensifia plus encore, et je sus qu’il ne m’avait pas entendu jurer contre lui. J’en ressenti un certain soulagement avant de me laisser aller à la colère. Il se moquait allègrement de moi, et moi, les joues rougissantes, je restais ainsi sans réagir. Crispant la mâchoire, je pris sur moi pour ne rien dire, supportant avec peine son rire, et essayais de me relever. La neige était glissante, sous mon corps, et je ne parviens qu’à humidifier plus encore mes vêtements. Aodren sembla me prendre de pitié, car il se calma soudainement pour se précipiter vers moi. Mais je le connaissais assez pour remarquer le coin de sa bouche se soulever nerveusement.

- Attends, Aelle, je vais t’aider ! Le géant, haha, j’avais oublié que jouer avec toi était aussi marrant !

Contrairement à lui, je ne riais pas. Et alors qu’il approchait son bras de mon épaule pour me relever, je le repoussais avec force. Il recula de quelques pas et me regarda. Il ne riait plus.

- Arrête, un peu ! Tu peux accepter qu’on t’aide de temps en temps, t’en seras pas moins forte.

Le fait qu’il pointe aussi précisément le problème me mis plus en colère que je ne l’étais déjà. Je me souvenais soudainement pourquoi je ne souhaitais plus passer du temps avec lui : il trouvait toujours le moyen de me reprocher mon comportement ; ne pouvait-il pas agir comme je le souhaitais ? Me laisser me débrouiller et rester dans son coin ? Je lui rendis son regard noir et dit avec hargne :

- Je me débrouille toute seule, accepte le ou non c’est la même chose !

Je me dis l’effet d’une enfant lorsque ces mots s’échapèrent d’entre mes lèvres, mais le mal était fait. Avec force, je me relevais, écartant mes bras pour garder l’équilibre. Je secouais ma cape pour l’en débarrasser de la neige qui la mouillait.

- Non, je ne l’accepte pas ! s’écria-t-il avec, me semblait-il, une grande stupidité.
- Tu devrais, je n’ai pas besoin de ton aide.

Je m’éloignais de lui à grand pas. Je préférais fuir plutôt que de me laisser aller à la colère. Il me semblait que mon corps tremblait. J’avais froid, mais je savais que ce n’était pas cela le problème. Je tremblais sous l’effort que je faisais pour enfouir ma colère. Un effort qui créait une pression depuis des jours. Oui, c’est cela, je me sentais sous pression, et comme un abruti, mon frère appuyait inlassablement sur les faibles protections que je m’étais créé. Respirant difficilement, j’accélérais le pas et m’enfonçais dans la forêt. Derrière moi, des bruits de pas. Il me suivait. J’eu l’envie de me retourner pour lui crier de me laisser, mais je n’en fit rien.

- Aelle ! cria-t-il. Aelle !

*Laisse-moi !*. Je serrais les poings. Des larmes s’agglutinaient dans mes yeux, et je les haïssais. J’haïssais cette faiblesse qui me faisait pleurer dès qu’un sentiment intense s’emparait de mon coeur.

- Aelle, fait pas l’enfant !

Sa voix avait un timbre qui la rendait perpétuellement ironique. Comme si chacune de ses paroles cachaient un sourire. *C’est ça, rigole !*, pensais-je avec hargne. J’évitais une racine que cachait la neige sur le sol. Pourquoi réagissais-je ainsi ? Nous étions en paix et soudainement la guerre s’était déclarée. J’avais conscience de réagir d’une manière véhémente, mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il l’avait cherché. Il me connaissait assez pour savoir comment réagir avec moi, son comportement prouvait qu’il faisait ça pour m’embêter. Sans un regard pour mon frère qui s’égosillait dans mon dos, je slalomais entre les arbres. Une part de moi avait conscience que je m’éloignais de la maison, mais je continuais d’avancer pour mettre de la distance entre Aodren et moi.

- Maman nous a dit de rester ensemble et…

Il dû prendre conscience que je ne l’écoutais pas car il s’arrêta soudainement de gaspiller sa salive en vain. Mais, alors que je pensais qu’il me laissait enfin en paix, un bruit de course remplaca sa voix. Je n’eu pas le temps de me retourner, que déjà sa main s'agrippait à mon épaule. Comme ce matin avec Maman, je ne pu résister ; il me retourna brusquement vers lui et nous nous retrouvions face à face. Lui ne rigolait plus. Il me regardait avec un regard grave que je jugeais idiot sur le visage d’un garçon de treize ans.

- Lâche-moi, lui crachais-je au visage.
- Non.

Je restais pantoise devant son air sérieux et sa voix froide. Il ne m’avait pas habitué à cela. Soudainement, il m'agrippa de ses deux mains et me secoua violemment. Mon souffle se coupa, et je fermais les yeux, mais il arrêta aussi vite qu’il avait commencé.

- Arrête d’agir comme ça ! cria-t-il plus fort que je ne l’avais jamais entendu crier.

Voir qu’il était capable d’éprouver de la colère contre moi me chamboula, mais je me protégeais aisément ; je me débattais pour me libérer de sa poigne.

- Non ! Je te lâcherais pas tant que tu m’auras pas parlé, Aelle ! Tu crois que tu peux continuer longtemps comme ça ? J’en ai marre que tu agisses comme si tout allait bien alors que ça se voit que tu es mal !
- Je vais très bien, lui rétorquais-je.
- Arrête, répéta-t-il pour la troisième fois, t’as vu ta tête ? On dirait que t’as pas dormi depuis des jours ! Et tu fais que me fuir !

Je ne faisais pas partie de ces personnes qui prenaient outrageusement soin de leur physique, je pouvais même dire que je ne m’en préoccupais absolument pas ; mais entendre ses mots me blessa profondément, et le visage froissé par la colère, je laissais s’échapper le poison de mes mots :

- Evidemment que je te fuis, tu es insupportable ! Ma respiration était hachée par la colère, mais je repris sans faire attention au fait qu’il m’ait soudainement lâché. J’en peux plus de ta présence !

Comme si je l’avais frappé, il recula de trois pas. Je vacillais un instant, surprise qu’il m’ait lâché si facilement. J’aurais pu regretter mes paroles, mais comme je le regardais, la force de mon ressentiment grandis en moi.

- J’essaies juste de comprendre, Aelle…
- Arrêtes d’essayer, alors, lui dis-je d’une voix venimeuse. J’avais la sensation que je ne pourrais plus cesser de parler.
- Tu…

Il fit quelques pas dans la neige, semblant chercher ses mots. Ses poings étaient aussi crispés que les miens, et je remarquais que sa bouche s’était tordu dans un angle que je ne lui connaissais qu’envers nos parents ou nos professeur. Il était en colère. J’en ressortis une étrange fierté. Mais il se tourna brusquement vers moi et pris une grande respiration avant d’ouvrir la bouche :

- T’es une menteuse ! Une menteuse et une manipulatrice !

Cette fois-ci, c’était à mon tour de reculer, frappée par la force et la signification de ses paroles. Il ne s’arrêta pas à ces mots, et sans pouvoir rien y faire, je l’écoutais m’asséner ses reproches comme s’il me donnait des coups :

- T’as été répartie à Poufsouffle et je me demande encore pourquoi ! Tu fais semblant d’être gentille, tu fais croire à tout le monde que t’es une enfant calme et studieuse mais en fait… En fait, tu trahis toute ta FAMILLE ! Il cria ce dernier mot.

*Non*, pensais-je, *non, non, non !*. Cela ne pouvait pas arriver. Peut-être étais-je en train de rêver ? Tout ce que je craignais qu’il sache, il me l’envoyait en plein visage. J’avais l’impression d’être coincé dans l’un de mes cauchemars, où ma famille voyait enfin mon vrai visage. C’était affreux. La boule dans ma gorge m’empêchait de respirer convenablement.

- T’es loin d’être fidèle, Aelle ! sa voix se faisait de plus en plus dure. Je me demande envers qui tu pourrais l’être, tu ne respectes personne ! Et calme ? Il éclata soudainement de rire, et je frissonnais malgré moi. Mais Aelle, tu te rends compte des rumeurs qui circulent sur toi, à Poudlard ? Tu veux que je raconte à Maman tout ce qui se dit derrière ton dos ? L’entière vérité ?
- Tu ne diras rien ! dis-je d’une voix tremblante de colère. Car les rumeurs ne servent qu’à entretenir ta jalousie de gamin !

Depuis quand pensais-je à Aodren comme à un enfant jaloux ? Je ne le savais pas, mais je bénissais mes mots lorsque son visage se tordit en une grimace blessée. Il s’approcha de moi et me regarda droit dans les yeux. Je ne détournais pas les miens, il tremblait de colère autant que moi.

- Jaloux, moi ? Et de quoi ? ricana-t-il. De mon idiote de sœur qui ne pense qu’à elle ? Qui s’en fiche de blesser les gens qui l’aime ? (à ces mots, mon coeur se serra dans ma poitrine) De cette gamine qui n’a aucun scrupule à blesser un enfant ?

Le noir voilà un instant ma vision ; et je courbais les épaules comme si je ne pouvais supporter le poids de ses mots.

- Quoi, tu penses que ça aussi je l’ignorais ? Mais Aelle, ton Poufsouffle a eu les deux poignets cassés, tu crois que c’est un truc qu’on peut ignorer ? T’as de la chance qu’il n’y ait aucune preuve, sinon Papa et Maman l’aurais su !

Le fait qu’il sache ce que j’avais fait me glaça le sang. J’avais envie de vomir. Je le regardais s’égosiller devant moi, les battements de mon coeur résonnant dans ma poitrine. Le venin montait malgré moi :

- La ferme !

Les mots m’échappèrent sans que je ne puisse les contrôler. Je crois qu’Aodren était aussi surpris que moi car il se tue soudainement. Nous restions ainsi face à face, essoufflés par notre colère.
Lorsque je pris la parole, ma voix résonna sous les bois. Sans nos cris, le silence qui nous entourait était épais.


- Tu sais rien de tout ça !

Je ne reconnaissais plus le garçon qui me faisait face. Ce n’était plus mon frère. Je résistais à la pulsion qui me criait de lui sauter dessus pour anéantir le dégoût que je voyais dans ses yeux. Il me mettait hors de moi. J’avais froid, mais une goutte de sueur glissa cependant le long de mon dos.

- Je t'interdis de dire quoi que ce soit de plus sur moi, tu ne sais rien de ma vie.
- Je suis ton frère, bien sur que je sa…
- Non ! Tu crois savoir, tu joues au grand frère protecteur, mais t’es comme les autres. Ma remarque le blessa, c’était flagrant. Je m’approchais de lui et continuais : si tu crois aux rumeurs, t’es aussi peu fidèle que moi.

Je voulais lui faire le plus de mal possible. Ca me faisait du bien, et je souris en voyant la tristesse remplacer la colère sur son visage.

- C’est toi qui persiste à t’éloigner, Aelle… Tu te rends même pas compte que je m’inquiète pour toi.
- Oh si, je m’en rend compte, dis-je en souriant ironiquement. Et je trouve ça pitoyable.
- Tu… Peu importe. Je pensais que t’allais pas bien, mais en fait tu es réellement… Comme ça.
- Comme ça, quoi ? Ses mots étaient horribles, aussi horribles que la façon dont il me voyait.
- Pas comme ma sœur…

Essayait-il de m’atteindre ? Sa phrase frappa directement mon coeur, et je tremblais un peu plus.
Il se détourna. Très simplement, il me tourna le dos et s’éloigna de moi. Je m’avancais de quelques pas, comme pour le suivre. Où allait-il ? Il ne pouvait pas me laisser ainsi, il devait rester et on devait s’affronter ou… Je ne savais plus que penser. Je me sentais impuissante à le regarder s’éloigner de moi. Impuissante et agacé. J’avais peur de la colère qu’il éveillait chez moi.

Soudainement il s’arrêta. Il était à quelques mètres de moi et ne me regardait pas. Comme si je ne méritais pas son regard. Je fixais son dos, hésitant entre l’écouter ou hurler de toute la puissance de ma voix.

- Tu veux connaître une autre rumeur, Aelle ?

Mon coeur s’envola dans ma poitrine. Je ne voulais plus l’entendre. J’ouvrais la bouche pour parler mais il me devança :

- Jace dit qu’il y a cette fille dans sa Salle Commune, une Gryffondor.

Je vacillais, craignant de comprendre ce qu’il allait me dire. Je fermais les yeux, mais cela ne m’empêcha pas de l’entendre.

- Elle aurait séjourné quelque temps à l’infirmerie, paraît-il…

Tais-toi”, je chuchotais. Mais il ne m’entendait pas. Soudainement, l’image de Elle s’afficha dans mon esprit et j’haletais bruyamment.

- Tu la connais ? Tu sais, chez les rouges, ils disent que cette fille avait défendu une certaine Poufsouffle qu’on disait lunatique.

Je ne sais pas si je devais me réjouir qu’elle me défende face aux siens ou hurler que je ne savais rien de cette histoire et de cette fille. En mon for intérieur, toute mon attention était tournée vers Aodren. Chacune de ses paroles était un élément sur Elle qui me nourrissait. J’avais l’impression qu’elle était un peu près de moi. Et ça faisait mal. Mes yeux, qui s'étaient asséchés, se remplirent de larmes que je ne retenais plus.

- Et j’ai remarqué, après que Jace m’ai raconté ça, que Maman et Papa m’envoyait des lettres dans lesquelles ils se plaignaient que tu le leur écrivais plus.
- Tais-toi, Aodren, dis-je d’une voix rauque.

*Merlin, fait qu’il se taise…*.

- Alors j’ai fait le lien. Mais peut-être que j’ai tort ? J’ouvrais les yeux et je remarquais qu’il s’était tourné vers moi. Dis-moi que tu ne connais pas cette Charlie, Ae…
- LA FERME !

D’un geste brusque, je dégainais ma baguette magique et sans penser au fait que je ne pouvais l’utiliser, je la pointais sur lui. L’entendre prononcer ce prénom auquel je m’interdisais de penser était insupportable. C’est comme si, en l’espace de quelque instant, il pointait tout ce qui n’allait pas dans ma vie, tout ce à quoi je ne voulais pas penser. Crispant mes doigts sur le bois, je le menaçais de dire quoi-que ce soit. Je savais que je n’hésiterais pas à lancer un sortilège. Je rêvais de le faire, de l’envoyer valdinguer pour ne plus entendre sa voix insupportable.

- Ne prononce pas son prénom ! lui hurlais-je à la figure, faisait fi du sillon de larmes qui me barrait le visage.

Je ne pouvais pas accepter qu’il fasse référence à Elle. Comme un trésor que je cachais jalousement, je voulais que cette partie de ma vie reste connue de moi seule. *Et de Elle*. C’était mon jardin secret, les quelques instants que nous avions partagés ne pouvaient être connus. Non, c’était nous, juste nous. Un sanglot me déchira la gorge, mais je ne baissais pas mon bras. Derrière ma vision rendu trouble par les larmes, je vis Aodren me lancer un regard entendu. Je me rendis alors compte que j’avais répondu à ses questions sans le vouloir. Il me dit une phrase que je n’entendais pas et s’éloigna rapidement de moi. Sans un regard en arrière.

Le silence m’entoura soudain, comme une masse qui s’abatait sur moi. Elle me prenait à la gorge et montait jusqu’à mes oreilles, les faisant bourdonner. J’étais seule dans cette forêt qui soudainement, ne me paraissait plus aussi attirante qu’alors. Dans ce silence, mes sanglots était comme un orage, j’aurais voulu ne jamais les entendre. Je fermais les yeux et je portais les mains à mes oreilles, cachant ainsi le bruit honteux de mes pleurs ; je me laissais tomber par terre, abandonnant ma baguette près de moi. J’étais vidé de toutes mes forces. Comme plus rien ne m’empêchait de le faire, je poussais un cri pour laisser s’échapper ma colère. Cela faisait du bien. J’avais besoin de me défouler. Mais seuls les pleurs s’échappaient de moi, me secouant les épaules et mouillant mon visage. Transie par le froid, la tristesse et la colère, je ne trouvais pas la force de me lever pour agir.
Pourquoi les choses avaient du déraper ainsi ? Il ne restait plus qu’une semaine avant les vacances. Les fêtes et les quelques jours que nous passerons avec Narym, Zak’ et ‘Naël, nous aurait empêché de nous affronter lui et moi. J’aurais pu préserver ma famille, mais Aodren m’en avait empêché.

Tremblante et recroquevillé sur moi même, je ne sentais plus le temps s’écouler. Je pense que je restais longtemps ainsi, essayant de calmer mes pleurs sans toutefois y parvenir. Résonnait au fond de moi une idée qui m’était impossible à accepter, l’idée qu’entre mon frère et moi, une chose venait irrémédiablement de se briser. Et j’en étais l’unique responsable.
25 mai 2017, 08:37
 Angleterre  Le gouffre de l’Insensée  Solo 
- V -



26 Décembre 2041
Chambre d’Aelle - Domaine des Bristyle
Vacances scolaire de Noël



- Les enfants !

La voix de Papa, sous Sonorus, résonna dans toute la maison. Je regardai en grimacant le livre que je venais tout juste de commencer. Quand est-ce que j’aurais le temps d’étudier si j’étais toujours dérangé ? J’avais commencé à travailler ma métamorphose. Poudlard exigeait un niveau excellent pour ceux qui souhaitaient devenir animagi, et je faisais partie de ces élèves. Pouvoir vivre et ressentir dans la peau d’un animal m’apprendrait énormément.
Lorsque Papa cria à nouveau, cette fois-ci mon prénom spécifiquement, je me décidai à me lever. Je sautai de mon lit pour atterrir sans douceur sur le plancher de mon grenier. Prenant soin d’enfiler des chaussettes et d’attraper mon carnet, j’ouvrai la trappe qui fermait ma chambre et me laissai tomber de l'échelle. J’entrepris alors de descendre les trois étages de ma maison. Dans la Tour, les nombreux livres qui habillaient les trois murs créaient une atmosphère calme dont je raffolais. Une main sur la rambarde, je descendai une par une les quatre vingt et une marche, gardant le nez en l’air pour cibler des livres au hasard, me plaisant à deviner leur titre. La grande vitre illuminait les étages de la chaleur du pâle soleil de l'après-midi.
Je sautai les dernières marches dans un saut maîtrisé et apparu dans le salon, une dizaine de livre à présent à l’esprit. Je relevais la tête en souriant et eu la surprise de me retrouver face à Papa, qui me regardait avec un air mi agacé mi attendri. Ses mains étaient occupés par un carton rempli de livres qui attira instantanément mon regard. Allait-il les jeter ? Sans réfléchir, je lui jetais un regard courroucé.


- T’as pas besoin de compter tous les livres de la bibliothèque à chaque fois que tu descends, m'interrompit la voix moqueuse d’Ao’.

Il était assis sur le bar qui séparait la cuisine du salon, et balançait ses jambes dans le vide, me regardant d’un air provocateur.

- Et toi t’es pas obligé de faire semblant de savoir lire, abrut…
- Ne commencez pas ! Je ne comprends pas pourquoi vous semblez tellement en colère tous les deux, on en parlera en famille.

Ignorant Papa, je regardai Ao’ d’un regard noir. Lui avait eu la présence d’esprit de ne pas m'affubler d’un nom d’oiseau devant notre père. Sans mon insulte, Papa n’aurait certainement pas sous-entendu une réunion de famille. Je jouai avec ma baguette en l’observant discuter avec ‘Naël d’un air sérieux. Je ne savais comment je pourrais me dérober à cette réunion… Il m’était de plus en plus difficile de rester en compagnie d’Aodren. Notre récente dispute dans les bois n’avait pas été divulgué à la famille, mais l’évènement trônait entre nous comme la plus solide des barrières. Il me semblait que rien ne pourrait jamais la briser. Aodren ne m’avait pas pardonné mes mots, et moi même avais encore à l’esprit toutes les horribles choses qu’il m’avait dite. Le fait que la plupart soit la stricte vérité me mettait encore plus sur les nerfs.


Le voyant me narguer, je m’éloignai de lui. Je m’affalai sur le canapé, mes bras pendant sur le dossier.
*De quoi ils parlent ?*, pensai-je en observant les adultes. Je n’aimais pas lorsque les grands faisaient ça, nous mettant de côté car nous étions les plus jeunes. Auparavant, nous nous liguions avec Aodren pour aller espionner ce genre de conversation, menant une rébellion intense pour lutter contre cette injustice. Aujourd’hui, nous nous lancions des grossièretés articulés silencieusement d’un bout à l’autre du salon. Quant à ‘Naël, il nous ignorait… Depuis qu’il avait grandit, surtout depuis qu’il était à l’université, il se comportait comme Papa. Il agissait tel un adulte qui sait tout, nous donnant des ordres à tout va. J’avais tout de même gardé de fortes relations avec lui, ne me disputant que rarement avec et appréciant toujours sa compagnie. Aujourd’hui, je ne souhaitais voir personne, je me sentais d’humeur maussade, prête à trouver des défauts à tout le monde.

Je relevai la tête lorsque Papa et Natan’ se séparèrent. Je compris, lorsqu’il enfila sa vieille cape, que Papa allait quitter la maison. Il se tourna vers Ao’, puis vers moi, m’adressant un doux sourire qui me réchauffa le cœur :

- Les enfants.

Je levai les yeux au ciel à ces mots pendant Ao’ soupirait. Papa, lui, sourit plus grand encore.

- Je dois aller au magasin livrer ces livres, il me montra le carton en m’affublant d’une oeillade amusé, sachant très bien ce que j’avais pu penser. Je reviens dans quelques heures, mais Natanaël reste ici pour vous surveiller. Ne faites pas de bétises, je reviens bientôt ! Oh, le jardin attend d’être rangé, et Maman n’aime pas que tu utilises la Magie n’importe quand, ‘Naël.

Il prononça cette dernière phrase en éclatant de rire, et partit sans demander son reste. Il claqua la porte derrière lui, je le suivai du regard par la fenêtre du salon, jusqu’à ce qu’il disparaisse soudainement, signe qu’il venait de transplaner.

Je soupirai en me relevant. J’allais pouvoir retrouver mon grenier. Aujourd’hui, personne ne m’empêcherait de m’enfermer dans mes livres. Je me glissai dans la cuisine en passant entre mes frères qui discutaient de je ne sais quel sujet. Derrière le comptoir, sur le mur, trônait une étagère sur laquelle je savais entreposé toute sorte de confiserie. Papa les rangeait en hauteur pour nous empêcher d’en manger tout au long de la journée, mais il devait bien se douter que nous sachions escalader un vulgaire mur, non ? Avec des années d’expérience derrière moi, je bloquai mon pied dans une fente dans le mur ; celle-ci se faisait de plus en plus épaisse au fur et à mesure que nos pieds grattaient la pierre. Je me hissai de tout mon poids pour atteindre le rebord de l’étagère que j’attrapais de mes deux mains. Ainsi accroché, les moindre de mes muscles tendus, je pu attraper la boite colorée qui cachait le trésor que je cherchais. Je sautai pour retrouver le sol de la cuisine, laissant échapper un ricanement victorieux dont j’avais le secret.

Quelques minutes plus tard, je partais dans les étages en serrant précieusement contre moi un tas conséquent de Chaudrons Fondants que j’avais réussi à sauvegarder. Mes frères étaient actuellement en train de se battre à grand renfort de hurlement bestiaux afin d’avoir la dernière Chocogrenouille.
Une fois dans mon grenier, je refermai la trappe derrière moi, osant même pousser un coffre rempli de babioles pour empêcher quiconque d’entrer. S’il voyait cela, Papa n’hésiterait pas à me hurler dessus, il n’avait jamais accepté que nous nous enfermions dans nos chambre. Mais aujourd’hui, lui et Maman était absent, et j’en profitais de toutes les manières possible. Et cela commencait par avaler un de ces délicieux Chaudrons en me jetant sur mon lit.



Allongée sur le ventre, le corps traversant mon lit de part et d’autre, la tête dans le vide, je lisais mon livre en piochant de temps à autre une sucrerie. La maison était calme. J’avais entendu ‘Naël s’agiter dans le jardin, et un rapide coup d’oeil à ma fenêtre m’avait permis de voir qu’il rangeait -sans Magie- le jardin encombré. Je n’allais pas l’aider, je savais qu’il viendrait me chercher s’il avait besoin de moi. Je préférais largement rester ici, au chaud Quant à Ao’, il m’avait semblait percevoir son pas d’éléphant se diriger vers sa chambre où il devait s’adonner à une quelconque activité ennuyante. Plus loin il était, mieux je m’en porterait.
Je soupirai en me laissant aller sur le dos, abandonnant mon livre par terre. Mes pensées envers mon frère étaient dures, et j’en souffrais malgré moi. Lorsque nous pouvions enfin partager quelque chose, il parvenait à le gâcher en faisant tout pour m’énerver. Je ne le comprenais plus, nous étions si proche durant notre enfance, mais Poudlard avait tout changé. Lui était devenu arrogant, blagueur, et moqueur, il trouvait toujours de quoi me rabaisser, et osait à côté de ça, prendre le rôle du grand frère protecteur qui me proposait son aide, m’aidait à me faire des amis, et me protégeait dans l’horrible château qu’était Poudlard. Et moi, depuis ma rentrée, je faisais face à des choses bien trop difficile pour continuer à garder une attitude fraternelle envers ce frère qui me faisait sortir de mes gonds. J’avais toujours su lui répondre en cachant ma colère, me contentant d’un sourire timide qui finissait par le faire fondre. Mais je n’y arrivait plus. Ou peut-être que je ne souhaitais plus faire cela ?

Je roulai sur moi même pour attraper ma peluche favorite que je serrai contre moi. C’était un calmar géant qui faisait ma taille -lorsque j’avais six ans-, je l’avais appelé “Calmar” en l’honneur du vrai qui vivait dans le lac de Poudlard. Narym me l’avait offert pour mon anniversaire, celui qui suivait ma découverte de cette créature merveilleuse. Depuis, elle ne me quittait plus. Elle m’avait même suivit à Poudlard, où elle était resté caché à l’abris des regards curieux derrière les rideaux de mon lit.
Cela faisait de nombreux mois que j’étais à Poudlard, et je n’avais toujours pas réussi à voir le Calmar malgré toutes mes tentatives. Le soir d’Halloween restait un excellent souvenir, mais Nebor, la Serpentard et moi faisions tant de bruit que nous avons fait fuir la créature. Quant à mes deux autres tentatives… Il m’était difficile d’y penser, et ne faire qu’évoquer ces événements avait déjà l’effet de faire battre mon cœur plus rapidement. Ces deux aventures avaient eu un enjeu tout à fait différent de leur but premier. Inévitablement, je repensais à Elle. Je soupirai en sautant de mon lit, ignorant Calmar qui avait sobrement roulé à terre. Je m'appuyais contre les carreaux frais de ma fenêtre pour observer ‘Naël. Je souris en remarquant la baguette qu’il tenait dans sa main.


*Est-ce qu’elle pense à moi parfois ?*. Une fois encore, mes pensées se tournaient vers ce sujet que je voulais à tout pris éviter. Le chagrin s’installa sur mon visage alors que je repensai à ce qu’il s’était passé. Devant elle, il n’y avait eu que la colère. Mais ici, alors que j’étais seule, je ne me cachais plus. Cet événement m’avait chamboulé, ma rencontre avec elle m’avait chamboulé. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi je m’étais attaché à elle spécifiquement. Je ricanai en posant mon front sur la fenêtre froide, les yeux fermés. Je ne m’étais pas attaché à elle, ça ne pouvait pas être possible. Non, peut-être que j’avais été attiré par cette bouffée d’air frais qui me secouait dès que je la voyais… Oui, c’était cela. ses comportements, ses mots qui changeaient tant de ceux des autres enfants : elle m’avait surprise et j’avais aimé ça. Elle était la première personne à rebondir sur les phrases que je lançais au vent de temps à autre sans me jeter un regard éberlué. Elle m’avait répondu naturellement, comme si elle et moi étions dans un autre monde et que les Autres étaient ailleurs.
C’est précisément le sentiment que je ressentais dans l’après coup de nos deux rencontres. J’avais eu la sensation de changer de Monde durant quelques minutes, d’être arraché à ma vie pour voyager dans un tourbillon de nouveauté. Nous étions partis dans les Limbes, nous avons vogués sur des flots courroucés, gravit le mont Olympe, sautés dans les étoiles. Nous étions allés loin, et je n’avais pas atterri à un seul moment, je n’avais pas atterri lorsqu’elle m’avait hurlé qu’elle me dét… ces mots, je volais toujours lorsque nous nous étions séparés, je volais encore lorsque j’avais posé une dernière fois mes yeux sur elle. Puis sans avertir, tout s’était écroulé. Je retrouvais ce monde, ce souffle, cette vie. Je retrouvais ce que j’avais toujours connu, et mon Mystère, celui-là même qui avait réveillé tant de chose inconnu, m’était arraché.
Une boule m’obscurcissait à présent la gorge, me donnant envie de pleurer. Je frappai doucement la fenêtre avec mon front, dans le besoin de retrouver consistance avec ce Monde-ci. Mon cœur battait lentement au rythme d’une douleur que je ne comprenais pas, que je n’acceptais pas. Je devais l’éloigner de moi à tout pris, car une personne n’avait pas le droit d’avoir tant d’emprise sur moi. Ce n’était pas normal, n’est-ce pas ? Mes yeux se posèrent sur Calmar, l'interrogeant du regard. Personne ne se préoccupe tant de telles choses, hein ?

Soupirant, je m’adossai au mur, embrassant ma chambre du regard. Je regardai les murs encombrés d’étagères, le toit bas, les livres, les peluches. Je me sentais bien, à la maison. Oui, je me sentais bien ici, tout n’était pas noir, rien ne serait intégralement noir tant que j’aurais mon endroit à moi. Je me permis alors une chose que je m’étais interdite depuis que je m’étais disputé avec Maman : je regardai l’étagère sur laquelle j’avais soigneusement posé ses lettres et sa bombabouse.

Rien.
*Quoi ?*. Mon cœur rata un battement. Puis un deuxième. L’étagère était vide. Pas de ce vide caractéristique menant au désespoir, pas de cette absence qui s’opposait à l’encombrement. Non, l’étagère était toujours pleine de mes livres préférés, ces reliques que je gardais jalousement dans ma chambre sans les en sortir. Mais pourtant elle était aussi vide que mes pensées à ce moment-même, aussi creuse qu’une noix pourri. Un néant aussi profond que celui de l’espace. Je trébuchai sur Calmar en voulant m’approcher du meuble et tombais sur les genoux. Agacé, je lui donnai un coup de pied qui l’envoya rouler sous le lit. Je me relevai rapidement et percuta presque l’étagère sous l’effet de la vitesse. Je me hissai sur les pieds, le cœur battant à ton rompre, les mains moites, les yeux piquants, mes lèvres s’agitant fiévreusement dans une prière vaine.
Je bousculai les livres, saccageant ainsi des années d’ordre, je remuai toute l’étagère, même les étages non concernés. Ici ! J’avais mis la main sur les lettres, elles étaient tombés entre deux livres. Je les ouvrai nerveusement. Soulagée, je reconnu instantanément son écriture grâce à mes heures passé à lire ses mots. Je les rangeai dans la poche intérieure de ma cape avec le petit livre. J’avais retrouvé un de mes trésors, mais le deuxième, celui qui avait le plus d’importance, n’était toujours pas là. Je me mordai les lèvres, prise d’un sentiment de panique incompréhensible et exagéré. J’enlevai un à un mes livres de l’étagère, les empilant sur le sol. Plus le meuble se vidait, plus je paniquais. Il me semblait perdre mon coeur, j’avais la sensation de me liquéfier. Je me rendais compte que depuis qu’elle m’avait donné cette bombabouse, j’en avais pris grandement soin. Maintenant qu’elle avait disparu, je voyais l’intérêt qu’elle avait pour moi. Tout comme Elle, je pensais, je n’avais pas compris que je l’appréciais avant que tout ne dégénère… Agenouillée sur le sol à fouiller dans le tas d’objet, je dus me rendre à l’évidence : la bombabouse n’était plus ici.

Je me fis lentement à l’idée, et cela eu l’effet d’apaiser ma panique. La bombabouse n’était plus là, mais je savais au moins qu’elle était ailleurs. Je restai figé, prise dans une torpeur inébranlable. Mon esprit, lui, s’échauffait à toute vitesse. Je réfléchissai à l’explication de tout ceci. Personne n’entrait dans ma chambre si ce n’était Papa et Maman parce que je ne pouvais les en empêcher. Mais ils nous laissaient la liberté d’acquérir ce que l’on souhaitait tant que cela ne nous mettait pas en danger, ils ne m’auraient donc pas enlevé la bombabouse… Alors quoi ?
Je relevai soudainement la tête. Il n’y avait qu’une seule personne dans cette maison qui connaissait quelque peu ma relation avec Elle. Une seule personne qui m’avait déjà soumis à un interrogatoire concernant ce sujet. Une seule personne qui se vantait de savoir les choses mieux que moi et de savoir prendre de meilleures décisions…

Prise d’une brutale impulsion, j’envoyai valser mes affaires d’un coup violent en me levant. Je poussai le coffre qui bloquait la trappe de ma chambre. Cette dernière s’écrasa bruyamment sur le sol du grenier quand je descendis l'échelle ; ma colère était lancinante, je la sentais monter, tout écraser sur son passage. C’était semblable à un volcan qui amassait de la pression, et qui soudain explosait mortellement. Je traversai à grand pas le couloir.

Mes pensées s’enraillaient sous mon crâne. Ça ne marchait plus, ca ne pouvait plus fonctionner, alors tout s’accélérait pour ne laisser que la colère et la rage. Je ne souhaitai qu’une chose, secouer mon frère dans tous les sens, le brutaliser s’il le fallait, lui faire ravaler son sourire supérieur, saccager sa chambre, tout retourner tant que je n’aurais pas retrouvé mon bien. Plus rien n’avait d’importance si ce n’est cela. Il n’y avait plus rien, de toute façon. Le monde s’était effacé pour ne garder que ma haine qui me poussait à retrouver mon frère coûte que coûte.

Je poussai la porte de sa chambre de toute mes forces, l’envoyant s’écraser elle aussi sur le mur. Dans la chambre, mon frère protesta. Je ne l’entendai pas. Il tenait une chose dans ses mains. Je ne le voyais pas. L’apercevoir réveilla un flot de passion ardente dans mon coeur. Une passion dévastatrice et douloureuse. Je lui faisais face, les poings serrés à m’en briser les phalanges, le visage dévasté par la colère, le cœur emplit de haine.

- Rend moi ma bombabouse ! Lui hurlais-je.

J’hurlai très fort, comme je ne l’avais jamais fait. Et il osa me regarder d’un air étonné, d’un air qui me donnait envie de le frapper. Mais tout s’enchainait, il sourit soudain et dans ses yeux je vis tout ce que je craignais. Je vis ses moqueries, sa bêtise et sa pire erreur.

- Aelle, on s’en fout c’est qu’une bomba…
- Elle est où ? L'interrompais-je. ELLE EST OU ?

Et il ria, il ria d’un rire gras d’adolescent inconscient. Il ne prenait pas au sérieux ma colère, il se moquait de moi car il me voyait comme une gamine capricieuse. Il ne fit qu’un geste, un seul, en direction de son bureau. Je tournai la tête comme au ralenti. J’avais peur de voir, j’avais peur de découvrir ce que j’avais deviné.
Là, sur son bureau, une montagne noircie non identifié. Je savais reconnaître une bombabouse qui avait explosée. Elle gisait lamentablement près du sac sans fond reconnaissable de ma mère qui avait, lui aussi, un air calciné.

Je regardai Aodren. Il me regardait en souriant, d’un sourire contrit. Et il me parlait, mais je n’écoutai pas, ou alors je n’entendai rien. Un bourdonnement dans les oreilles me coupait du monde.

Puis soudain, tout bascula. Je lui sautais dessus. Plus petite que lui, ce fut son torse que je rencontrais, mais nous tombions tous les deux à terre sous mon poids. Il cria, surpris. Je serrais mon poing à m’en faire mal, et le frappais de toute mes forces. Sentir mes phalanges sur sa pommette me fis un bien fou. Et pourtant, une douleur explosa dans mes doigts ; je l'ignorais. Sa tête valdingua sur le côté, il était sonné. Il ne faisait rien pour me repousser, malgré le fait qu’il avait la force pour, je sentais une sorte de pression agir sur lui. Elle venait de moi.

Je recommencai, mes bras s’agitaient mais toujours dans un seul sens : vers le corps de mon frère. Je sentis son nez craquer son mon poing gauche, je m’écorchai le poing droit sur sa bouche. J’accompagnais chacun de mes coups par un hurlement. La colère faisait bouillir mes veines, jamais je ne m’étais senti aussi libre. Je ne m’arrêtai pas, me sentant vivre en frappant brutalement mon frère. Je ne le voyais plus, il n’était qu’une cible à atteindre, un but à détruire. Je sentai le poids de ma tristesse s’échapper de mes épaules à chaque nouveau coup. Il criait, lui aussi, mais je ne l’entendai pas. Je voyai ses yeux. Était-ce de la terreur, que je voyais dans ses yeux vert ? Il ne bougea pas, il ne pouvait pas se défendre. De ma main gauche j’attrapais son pull que je serrais fort, parfaitement consciente que le vêtement appuierait sur sa gorge. Je sentai ses jambes rencontrer mon dos brutalement alors qu’il se défendait mais la douleur ne m’atteint jamais. Il n’y avait que le bruit de mes phalanges sur son visage, la sensation de mes doigts sur la peau mole de ses joues, l’odeur du sang quand je levais mon poing vers mon visage pour l'abattre sur son corps. Il n’y avait que le choc de la rencontre entre nos deux corps qui vibrait dans tous mes os, accompagnant la colère qui les faisait bouger.

A un moment, je frappai sans regarder car j’avais fermé les yeux pour ne pas laisser couler mes larmes. Alors je frappai à l’aveugle, je me contentai de viser le corps qui était sous moi. Un choc me fit tomber. Un coup violent au visage me fit gémir, mais cela m’encouragea à me débattre avec plus d’ardeur encore. Il avait réussi à se libérer de mon emprise. Heureusement que sa baguette était loin. La mienne, je n’avais pas pensé à la prendre, mais je n’en avais pas besoin. Un vent violent tournait autour de nous, et ma force était décuplé par ma colère. Ma magie me permettait d’avoir le dessus. Encore une fois. Je n’avais qu’une seule envie, qui plus tard m’effrayera : celle de lui faire le plus de mal que possible. Alors je donnais des coups de pieds à ce corps qui me surplombait et qui me hurlait des choses que je n’entendais pas. J’agitais mes bras qu’il tenait douloureusement serré entre ses doigts, je levais ma tête pour viser son nez de mon fro…

Il fut soudainement arraché à moi. Comme un animal traqué, je regardais autour de moi pour le chercher. Là, debout, dans les bras de je ne savais qui. Je me levai, ignorant ma douleur, pour le percuter de tout mon corps, je voulais encore le frapper, j’avais besoin de décharcher cette colère, cette tension qui me faisait trembler. Un frisson d'excitation me traversai ; c'était une envie ardente, celle de faire mal, un plaisir.


- Petrificus totalus !

Le sortilège me percuta de plein fouet. Je tombai en arrière, atterrissant brutalement sur le sol. Le silence pris alors possession de la pièce. Je me rendai compte qu’il n’y avait eu aucun bruit durant tout ce temps, aucun bruit si ce n’est mes hurlements et le bruit de notre étreinte effrénée. On ne pouvait qu’entendre des respirations chaotiques. La mienne, entrecoupé de sanglots. Celle d’Aodren, tremblante. Et celle de Natanaël, je le reconnaissais maintenant, calme. J’essayais de me concentrer sur mes membres pour les libérer mais rien n’y faisait. Je ne voyais rien d’autre que le plafond blanc de la chambre de mon frère. Mes larmes refusaient de couler sous l’effet du sortilège. Maintenant que je ne pouvais plus bouger, j’accusai lentement le contrecoup. Je ne m’étais pas calmé, mais je sentais chaque parcelle de mon corps me lancer douloureusement.
Une ombre se pencha alors sur moi et mes yeux rencontrèrent ceux de mon grand frère. ‘Naël. Il n’y avait aucune gentillesse dans ces yeux là, aucune pitié, aucun questionnement. Il n’y avait que de la colère. Il me pointa de sa baguette. Allait-il me faire du mal ? J’avais, pour la première fois, peur de ce frère habituellement si aimant. Ce grand frère qui m’avait appris tant de chose, qui m’avait accueillis quelquefois lorsque je dormais mal, celui-là même qui m’avait protégé quand je n’étais qu’une gamine qui acceptait encore l’aide de ses frères… Ce frère qui me mena grâce à un sortilège de lévitation hors de la pièce, sans un mot. Je ne vis pas Ao’.

Il me déposa sans ménagement sur le sol de ma chambre.

- Tu restes là, et tu te calmes. Je vais soigner ton frère.

Il me libéra de mes entraves et quitta la pièce. Avant de fermer la trappe à double tour derrière lui, il me lança un regard qui me figea le coeur. De la déception. Un silence sordide m’entoura. J’étais seule dans la pénombre de ma chambre. Difficilement, je m’asseyai, mon dos douloureux contre le lit. Je baissai la tête vers le sol, l’abattement me saisissant soudainement.
Je pleurai. Je sanglotai dans mes mains, sentant les larmes couler entre mes doigts. Je pleurai à grand bruit, avec cette impression que jamais plus je ne pourrais sourire. Je pleurai mes blessures qui me faisait souffrir, je pleurai ce que je venais de faire, je pleurai car ma colère s’était apaisé, je pleurai car j’avais mal au cœur. Et je criai aussi. Des mots incompréhensibles, ce n’était même pas des phrases. Mais je criai parce que cela me faisait du bien. J’avais besoin de faire sortir ce poison qui me faisait mal, cette douleur qui me paralysait le cerveau.

Cela sembla durer des heures. Des heures durant lesquels je saccageai ma chambre sous l’effet de ma colère et de mon chagrin. Je ne touchai pourtant à rien, mais ma magie parlait pour moi, elle m’aidait à évacuer ma douleur. Elle s'échappait de moi sous la forme de puissantes décharges qui rencontraient les murs avec bruit. Je ne cherchai pas à la contrôler car chaque ondes magiques s’échappant de moi étaient un poids en moins sur mes épaules.



Le temps s’était arrêté. J’étais sur le plancher de mon grenier, allongé là où ‘Naël m’avait déposé. Il faisait froid, mais je ne faisais pas un geste pour me couvrir. Je restai ainsi sans bouger, écoutant les bruits de la maison. Mes muscles tétanisés me faisaient souffrir, mais je ne bougeais pas pour les réveiller.
Je pensais.
Non, je ne pensais pas. Je ressentais. J’écoutais ma douleur musculaire, ma douleur morale. J’entendais ma culpabilité, ma honte, ma colère envers Aodren aussi, qui était toujours présente. J’accueillais le souvenir de Natanaël, hantée par son regard plein de déception. Et par dessus tout, je tentais d’enfouir très profondément en moi une pensée qui me trottait dans l’esprit au milieu de tout cela. Cette pensée était de plus en plus présente :
*je ne suis pas à ma place*. Elle me faisait peur cette pensée, elle m’effrayait parce qu’elle ne m’avait jamais traversé l’esprit malgré les nombreux points m’opposant à ma famille. J’avais toujours eu une place dans cette famille, j’étais la petite soeur, l’unique fille, la passionné, l’enfant, la fille, la mature, le rat de bibliothèque, la ronchon. Une place particulière était la mienne, comme chaque membre de cette famille. Aujourd’hui, je me voyais comme l’intrue, l’enfant qui gachait le bonheur de ses parents, la petite soeur qui créait des discordes parmis ses frères, la fille difficile qui ne souriait pas tous les jours, celle qui avait frappé son frère. *Ils me pardonneront jamais ça…*. Je n’avais plus de larmes à sortir de mes yeux secs, alors je me levai.

Sans réfléchir aux conséquences qu’aurait mon geste, j’attrapai un sac qui traînait là. Je fouillai dans le capharnaüm qui habitait ma chambre suite à ma manifestation de Magie. Je dénichai plusieurs capes chaudes que je fourrais dans le sac, des livres d’écoles au hasard, ma baguette, des vêtements qui suivirent rapidement. Je cherchai Calmar et je dû m’allonger à terre pour le trouver sous le lit. Je le tiens un instant dans mes mains, plongeant mon regard dans ses yeux bleus. Je le serrai une fois dans mes bras avant de le mettre aussi dans le sac, luttant pour le fermer. Une fois cela fait, je me dirigeai vers la fenêtre de ma chambre où je m’arrêtai.


*Est-que j’ai raison ?*, je me tournai vers ma trappe que je savais fermé à double tour. Elle me donna la réponse : ils ont peur de toi, rappelle toi le regard d’Ao’, celui de Natan’... Et ils ne sont pas les seuls. J’entendais encore les poignets de Nebor se briser lorsque le canapé lui était tombé dessus, je voyais encore les doigts de Elle pendrent lamentablement. Et les regards, la colère, la tristesse, la déception et la crainte. Il n’y avait rien de positif dans tout cela, je ne pouvais m’empêcher de faire du mal aux autres. Une réalité s’imposa alors à moi : j’avais peur de moi-même. Parce-que je venais de tabasser mon propre frère, et que cela m’avait fait du bien.

Je n’hésitai plus. J’allai vers mon armoire dans laquelle je dénichai un vieux Nimbus. Ce balais m’avait vu jouer de nombreuses fois avec mes frères. Mais je passai outre ces souvenirs. Je jetai mon sac sur mon épaule et ouvrit la fenêtre. L’air frais de la fin de journée pénétra dans ma chambre, anéantissant toute chaleur. Je devais me dépêcher si je ne voulais pas que mes frères remarquent le changement de température. Je m’assis sur le rebord de la fenêtre, laissant pendre mes jambes dans le vide sans peur. J’avais fait cela des centaines de fois, mais jamais pour cet objectif là. J’enfourchai mon balais, et sans demander mon reste, je me lançai dans le vide les yeux fermés.
Lorsque je les rouvrais, je me trouvais au dessus de mon jardin, emmitouflé dans ma cape. Le froid de l’hiver me giflait le visage. Le ciel était clair mais le sol recouvert de neige, la température ne dépassait pas les 0°c. J’avais le regard fixé sur la baie vitrée de la véranda, celle qui s’ouvrait en grand pour accéder au jardin. A l’intérieur, sur le fauteuil donnant sur l’extérieur, roulé en boule sous une couette, se trouvait Aodren. Il regardait vers le jardin enneigé, j’étais trop loin pour voir son visage et cela valait peut-être mieux. Je restais immobile sur mon balais à le regarder. Une silhouette lui tendit une tasse fumante, et ils échangèrent quelques mots. Natanaël était resté près de lui. Je n’avais pas ma place dans ce tableau.

Je fis bifurquer mon balais vers la forêt qui bordait notre domaine, les pins et autres arbres étaient entièrement recouverts de neige. Je devais survoler la forêt durant quelques minutes pour atteindre le village Moldu le plus proche. Il me fallait faire attention à ne pas me faire repérer par les moldus, sinon je ne donnais pas cher de ma peau.
Songeant à la suite difficile qui m’attendait, je me penchais sur le Nimbus pour accélérer, m’éloignant de cette maison, de ce foyer qui m’avait accueilli et aimé toute ma vie.



- Fin -


[center]Suite directe[/center]